Catherine Barba est une pionnière du numérique et une férue d’entrepreneuriat qui a fait de son parcours atypique, trois ans de prépa en khâgne hypokhâgne puis ESCP Business School, une force. En 1996, elle crée et développe OMD Interactive, sur l’activité de publicité numérique, au sein du groupe Omnicom avant de rejoindre trois ans plus tard le site iFrance en tant que Directrice Générale. En 2003 elle crée Cashshore, un portail de cashback qu’elle revend en 2010, puis crée le cabinet de conseil en e-commerce Malinea revendu à Veepee avant de partir aux États-Unis créer PEPS Lab pour accompagner les marques dans leur transformation digitale. Elle est aujourd’hui de retour en France avec un nouveau projet d’école pour aider les travailleurs indépendants à réussir. Rencontre.

Qu’est-ce qui vous a guidée vers l’entrepreneuriat ?

La chance d’avoir fait de belles rencontres et celle de grandir dans une famille très aimante qui m’a tricoté un rempart de confiance énorme. Or la confiance est la première qualité de l’entrepreneur. Cet amour inconditionnel que j’ai reçu de mes parents et cet encouragement à faire m’a permis d’avoir l’audace d’entreprendre. Entreprendre est le moteur de ma vie, je me réalise dans l’action, dans l’exploration de nouveaux marchés et de nouvelles solutions, dans la compréhension d’un besoin, dans l’étude de ce que je suis capable d’apporter, de ce qui me manque, dans la volonté de m’entourer des bonnes personnes. Cela correspond à mon appétit de la vie et à ma grande curiosité. J’apprécie ma participation aux conseils d‘administration de Renault et d’Etam et du Conseil Stratégique de Y SCHOOLS car cela permet de confronter les points de vue. Je lance mon 4ème projet entrepreneurial et l’enthousiasme est intact.

En quoi consiste ce nouveau projet ?

Je pense que le corollaire de la crise sanitaire est malheureusement une crise économique avec des conséquences directes sur l’emploi salarié.

Il va y avoir de plus en plus d’indépendants en France

Il va y avoir de plus en plus d’indépendants en France et j’ai envie d’accompagner ce mouvement en créant une école des indépendants qui réussissent. Elle devrait voir le jour fin 2022. Il s’agit d’une école et d’une communauté d’entrepreneurs qui ont créé localement, ont augmenté leurs revenus en se donnant les moyens de monter en compétences et qui vont pouvoir accompagner d’autres personnes dans cette même dynamique. Cette école s’appellera ENVI, ensemble vers ma nouvelle vie d’indépendant. L’objectif est de donner envie aux personnes et de leur donner confiance en eux, dans les autres et l’avenir. Ce sera notre marque de fabrique.

Vous avez débuté dans le numérique de quelle manière le secteur a-t-il évolué ?

Le numérique était à peine naissant quand j’ai commencé et jusqu’à il y a 10 ans il y avait peu d’entrepreneurs dans ce secteur. Il est désormais partout et est devenu une nécessité comme l’électricité. Aujourd’hui l’aventure entrepreneuriale dans ce secteur est très séduisante pour beaucoup, c’est une façon de se réaliser personnellement, financièrement, il y a des succès, des belles entreprises et même des licornes. Après, il y a malheureusement des sujets sur lesquels désespérément ça n’avance pas comme celui de la diversité et pas uniquement l’égalité femme-homme. On est quand même toujours dans un entre soi. Cela n’est pas une spécificité du numérique, on le constate malheureusement dans de nombreux secteurs.

Quels sont les freins à cette diversité ?

Les femmes ne représentent que 20% des entrepreneurs et seulement 2% des fonds levés ! Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation mais celle que je mets en avant, parce que je peux y apporter une réponse, est qu’il n’y a pas assez de femmes qui investissent.

Il n’y a pas assez de femmes qui investissent

Que ce soit à titre personnel en tant que business angel en amont des projets, ou en tant que partenaire dans des fonds d’investissement ou de private equity. Le fait est que la nature humaine est ainsi faite qu’on n’achète qu’à des gens qui nous ressemblent. Donc si un projet, aussi brillant soit-il, est porté par une femme devant un jury masculin, des biais font qu’ils se reconnaitront moins dans ce projet et investiront moins. Une des clés me semble-t-il c’est que des femmes investissent dans des projets portés par des femmes. Cela changera significativement la donne et c’est pourquoi j’investis dans des projets féminins.

Quels sont les leviers pour encourager cela ?

Je pense qu’il faut commencer très en amont et aller parler aux jeunes filles dans les écoles, collèges et lycées. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai accepté d’entrer au conseil d’administration de 100 000 entrepreneurs qui prêche la bonne parole entrepreneuriale. Mais souvent les filles disent « Oh les maths j’aime pas » et peu de mains se lèvent quand je demande qui veut travailler dans le numérique. Peut-être parce qu’il n’y a pas encore assez de succès féminins visibles. J’ai toutefois bon espoir qu’avec le temps et le volume aidant on obtiendra une masse critique qui fera basculer plus de filles sur ces métiers-là. Une autre raison est peut-être aussi que le numérique a beaucoup été présenté à travers l’aspect technique et technologique alors qu’en réalité il est en prise directe avec la vie quotidienne.

Comment aider les jeunes femmes à se projeter dans le numérique et l’entrepreneuriat ?

Je reviens de cinq années passées à New York en famille où ma fille était au lycée français qui avait un enseignement très coloré américain. Tous les élèves de troisième passaient par un exercice qui s’appelait « Be the change ». Cela consistait pendant plusieurs mois à se constituer en équipe de quatre pour créer un projet entrepreneurial social ou environnemental lié à la ville de New York. Or, il n’y a rien de mieux pour apprendre que de faire. Il ne suffit pas de regarder. Cela fait 30 ans que je regarde Roland-Garros et je n’ai pas progressé au tennis. À un moment, il faut prendre sa raquette.

La dynamique émerge-t-elle en France ?

Cela coince plutôt en France, cela doit être complexe. Les initiatives sont plutôt hors de l’Éducation nationale. La différence est criante avec la façon dont l’entrepreneuriat est enseigné aux États-Unis. On prépare mieux là-bas des citoyens du monde, des gens engagés, courageux, avec les deux pieds dans le monde dans lequel ils vivent et qui savent travailler en équipe et utiliser le numérique. Je n’en fais pas uniquement l’apologie car il y a aussi des points négatifs mais cela pousse à réfléchir. Je pense qu’il faut aller s’inspirer et aller chercher du souffle ailleurs pour pouvoir ensuite bouger les lignes ici. Les parents ont aussi un rôle à jouer, notamment ceux qui travaillent dans le numérique pour partager leur expérience.

Pensez-vous que l’accès renforcé aux métiers du numérique est aussi un moyen de renforcer l’égalité des chances ?

Les destins des élèves sont malheureusement assez vite figés. Le pouvoir s’exerce par la connaissance du digital et cela reste très inégalitaire. Alors je dirais qu’en théorie oui mais en pratique je pense que l’ascenseur social est plus que jamais bloqué. Je pense que la seule façon de lutter contre ce déterminisme et qui est à la portée de tous est d’entreprendre. Entreprendre nécessite de moins en moins de fonds initiaux pour démarrer son activité. C’est un bon levier de réalisation personnelle et financière. J’admire les entrepreneurs. Au-delà de leurs succès financiers, la générosité de ceux qui ont envie de passer le flambeau en disant « moi aussi j’ai envie de contribuer à faire grandir les autres » est remarquable.

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Catherine Barba
Entrepreneur