C’est avec la volonté de donner du souffle au marché de l’emploi qu’en 2015  Pascal Lorne quitte les Etats-Unis et rentre en France pour créer Gojob, agence d’intérim 100% numérique. Ce multi-entrepreneur, millionnaire suite à la vente de son entreprise Miyowa, poursuit alors son virage vers l’entrepreneuriat social engagé quelques années plus tôt avec son implication dans le fonds d’investissement Phitrust. Rencontre pour le blog de Bruno Rousset avec cet entrepreneur de convictions.

Valeurs d’entrepreneurs : Êtes-vous aujourd’hui le même entrepreneur qu’à vos débuts ?

Pascal Lorne : Oh non ! Pas du tout ! J’ai une histoire un peu particulière. Je suis un garçon né après cinq sœurs et dont les parents ont souhaité accueillir une personne handicapée et deux personnes de la DDASS. J’ai passé les vingt premières années de ma vie d’entrepreneur, soit de 22 à 42 ans, à essayer d’être le plus beau, le plus riche et le plus connu parce qu’il fallait que je trouve ma place. Et puis, j’ai monté et revendu sept entreprises et la septième a très bien marché. Il s’agit de Miyowa (start-up d’agrégation de messagerie) que je pilotais depuis les États-Unis et que j’ai vendue soixante millions d’euros en 2011. Je me suis retrouvé riche à 40 ans et j’ai alors démarré la deuxième phase de ma vie d’entrepreneur avec une grande traversée du désert, à me demander ce que j’allais faire. Je me suis rendu compte que ce n’est pas en ajoutant un ou deux zéros sur son compte en banque que l’on devient plus heureux ou doté d’une nouvelle vision du monde.

Qu’est-ce qui vous a permis de rebondir ?

J’ai complètement changé, j’ai arrêté de courir, parce que je faisais de l’ultratrail. J’ai bricolé, repris des études d’art contemporain et de génétique à Berkeley. Je me suis mis au yoga et à la méditation, j’ai passé beaucoup plus de temps avec ma femme et mes enfants. Je travaille depuis sur le sens, comment je m’ancre dans la terre, dans l’espace, dans mon business et ça m’aide à être plus aligné. L’argent gagné, je l’ai notamment placé dans des fonds d’investissement dont un à impact social qui s’appelait Phitrust. J’avais « exigé » qu’en échange de ce placement, je puisse avoir accès au comité d’investissement. Je souhaitais voir comment cela se passait de l’autre côté car j’avais toujours été entrepreneur, jamais investisseur. Cela a été une révélation pour moi, j’ai découvert des entrepreneurs complètement différents, qui venaient pitcher au fonds d’investissement un projet à impact social. J’ai ainsi démarré la troisième phase de ma vie d’entrepreneur en m’en inspirant et en me concentrant sur l’emploi, une thématique qui me parlait beaucoup. Quand les gens travaillent, ils retrouvent leur dignité, à travers le lien social mais aussi par le fait de nourrir leurs enfants avec leur salaire plutôt qu’avec les aides de l’État. C’était en 2015. Je suis rentré des États-Unis, car c’est une chose que je voulais faire en France où je trouvais que l’emploi ne tournait pas rond avec 12% de chômeurs et, en même temps, de grosses difficultés de recrutement. C’est pour ça que j’ai monté Gojob.

Car vous pensez que l’entrepreneur a une responsabilité par rapport à la société qui l’entoure ?

Oui, mais je ne pense pas qu’il soit plus responsable que quiconque. Tout le monde a une responsabilité. Celle des parents dans l’éducation de leurs enfants est aussi grande et importante que celle de l’entrepreneur vis-à-vis de la société. Il n’y a pas de grande et de petite responsabilité. Chacun fait sa part.

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes entrepreneurs ?

D’être intelligents avec l’esprit ouvert au sens de l’honnête homme de Montaigne. Soyez mêlés au reste du monde, ayez de l’audace évidemment, ayez confiance en vous et en vos intuitions. Je crois de plus en plus en l’intuition, qui ne relève pas des croyances ou des superstitions. Faites confiance à vos intuitions, partagez-les avec les autres, c’est mieux quand elles sont challengées tout comme vos idées. À partir du moment où on a une intuition qui est juste et validée, mettre un modèle économique dessus n’est pas dur. Je pense qu’il ne faut pas oublier de partir de là, plutôt que d’essayer de commencer directement dans le dur, faire du business, trouver son marché, etc.

Avez-vous des inquiétudes pour l’entrepreneuriat aujourd’hui ?

Non. Pour avoir vécu cinq ans aux États-Unis, trois ans en Allemagne, un an en Angleterre, deux ans au Brésil, avoir monté des entreprises aux quatre coins de la planète…

Je trouve que la France est un terreau extraordinaire pour entreprendre.

C’est assez facile finalement. On a la chance d’avoir un terrain politique extrêmement fiable et stable. J’ai peut-être une inquiétude pour l’Europe… Quand j’étais à l’école primaire, l’Europe était portée aux nues, c’était un idéal de création en commun qui nous entraînait et j’ai l’impression que tout le monde s’en fiche un peu désormais. Je pense que c’est une énorme erreur parce qu’avoir une monnaie commune, un espace économique commun, un espace de stabilité et de paix et de vraie démocratie commun, c’est un joyau ! Quand on voit à quelle vitesse cela décline au Brésil et aux USA… Et puis, j’en parlais encore récemment avec des amis, aujourd’hui, c’est la monarchie Google, Facebook, WhatsApp, Apple. Tout est contrôlé, surveillé dans tous les sens. Le Web n’est plus du tout libertaire, plus du tout ! Cela m’inquiète un peu et j’espère que les journaux traditionnels avec une analyse structurée, contradictoire, vont arriver à survivre. Car si c’est pour déverser des images qui, une fois sur deux, sont fausses en faisant penser que parce que c’est mainstream c’est la vérité, c’est très dangereux ! Après, je pense que l’humanité est résiliente et que des contre-voies se mettent généralement en place.

Quelles rencontres ont été inspirantes dans votre parcours ?

Bill Gates que j’ai rencontré il y a une dizaine d’années. Ça a été une rencontre qui a changé ma vie parce quand il a décidé de faire le « Giving Pledge » et de dire « Je donne 90% de ma fortune », c’est probablement un des éléments déclencheurs qui a fait que moi aussi, j’ai décidé de créer un fonds de dotation et de donner une partie de mes parts. Il appartient aux personnes qui sont très inspirantes par leurs actions. Je pense d’ailleurs que c’est notre rôle d’entrepreneur d’essayer d’être inspirant à notre petit niveau, mais je trouve que nous autres Français judéo-chrétiens avons tendance quand même à être beaucoup trop taiseux. Ce que j’ai appris aux États-Unis, c’est qu’on peut très bien être humble, rester soi-même et communiquer sur ce qu’on fait pour inspirer. Alors il faut savoir le faire bien, c’est difficile, c’est un exercice… Mais plus on insuffle et plus on diffuse d’ondes dans un sens, dans un mouvement qui nous semble être le bon, plus il y a de personnes qui peuvent l’entendre et avoir envie de le suivre.

A relire :
Rémi Tricart : « Emmaüs Défi montre que des solutions existent » 
Jean-Philippe Courtois : « Live for Good : l’entrepreneuriat pour un monde meilleur » 

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Pascal Lorne
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