En 2011, Patricia Gros Micol crée Handishare, une entreprise adaptée, pour embaucher en CDI des personnes en situation de handicap, souvent à la suite d’un accident de la vie, et mettre leurs compétences, actuelles et à venir, au service des entreprises. Un succès qui se poursuit en 2020 avec la création d’Handishare Intérim, une des six premières structures labellisées par le gouvernement pour tester la création d’agences d’intérim dédiées aux personnes en situation de handicap. Rencontre avec une créatrice d’entreprise énergique et engagée.

Comment êtes-vous devenue entrepreneur ?

Quand j’ai terminé mes études en école supérieure de commerce à 21 ans, je m’étais dit que je créerai « un jour » mon entreprise. J’ai pourtant commencé dans de grands groupes qui m’ont apporté des expériences enrichissantes sur le plan technique mais avec lesquels je n’étais pas toujours en phase en termes de valeurs. En 2010, après un licenciement, je me suis dit qu’il était temps de me lancer. Mes quatre enfants étaient plus grands, c’était le bon moment. J’ai tout d’abord pensé à développer une activité en lien avec Madagascar, pays dont je suis proche et où je mène depuis plusieurs années en famille des actions humanitaires. Mais tout était trop complexe avec un pays dévasté par la pauvreté et la corruption. Ma plus grande crainte était de finir par exploiter des personnes au profit du business. C’était impensable. Puis un jour, un ami me dit : « mais tu es handicapée, tu as eu un accident de train à 17 ans, tu as des maladies invalidantes… ». Une révélation. Pour moi, comme pour de nombreuses personnes, le handicap était associé au fauteuil roulant qui concerne en réalité 3 % des personnes en situation de handicap en âge de travailler en France. J’ai alors commencé à me renseigner et à poser la question : comment rebondissent professionnellement les personnes impactées par un accident de vie ?

Quel a été le constat ?

Le constat a été que tout était et reste très compliqué. Les entreprises classiques embauchent des personnes en situation de handicap mais cela reste complexe et peu développé. Sur un objectif de 6% de salariés handicapés en entreprise, on dépasse aujourd’hui les 3,5% en moyenne, mais rares sont les entreprises qui atteignent les 6%.
Certes, il existe depuis bien longtemps les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) mais les conditions pour y accéder sont très restrictives comme le fait d’avoir une orientation de la Maison des personnes handicapées (MDPH). Les Entreprises adaptées* (EA) quant à elles étaient souvent cantonnées à des tâches plutôt manuelles.
En France, on recrute essentiellement sur la base de diplômes et on a tendance à cloner les personnes dans leur évolution professionnelle. Comment envisager qu’un pâtissier ou une aide-soignante puisse postuler sur un poste aux achats ou en informatique ? Les entreprises sont nombreuses à attendre des profils immédiatement opérationnels or quand on embauche une personne en situation de handicap, cela n’est pas toujours le cas.

Il faut accepter ce temps indispensable de la reprise de confiance en soi

Il faut accepter ce temps indispensable de la reprise de confiance en soi, du deuil lié à sa vie d’avant le handicap et à la montée en compétences.
Il manquait quelque chose dans les réponses que l’on pouvait apporter, d’où la création d’Handishare. J’ai embauché un pâtissier, un vigneron, des aides-soignants… pour assurer des prestations de ressources humaines, de marketing, d’informatique, de gestion, d’achats… pour le compte de nos clients. Cela fait dix ans que nous fonctionnons ainsi, sans regarder les cv, en étant attentifs au savoir-être, à l’aptitude à évoluer ainsi qu’à l’envie, plus qu’aux diplômes.

Avec quel succès ?

Le business model est atypique mais il fonctionne ! Handishare le prouve. Toutes les années nous réalisons une enquête de satisfaction. Chaque fois, 100% de nos clients sont satisfaits. Nous avons depuis 2018 le statut EcoVadis Gold en reconnaissance de nos performances en termes de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) et avons réalisé en interne un diagnostic ISO 26 000.

Je ne cours pas après le chiffre d’affaires

Je ne cours pas après le chiffre d’affaires, je cours après le bien-être pour l’équipe… et le mien, en cohérence avec les valeurs de l’entreprise. Cela porte ses fruits et nous allons recruter trois nouvelles personnes en 2021. Pourtant tout n’a pas été facile. Nous avons par exemple dû faire notre place face à des clients qui pouvaient penser que des travailleurs handicapés devaient être moins payés, mais nous avons réussi. Nos clients sont de grands groupes comme Adecco, Materne, BNP, Schneider, Seb, Véolia, RTE, Vinci, Manitowoc, EDF… mais aussi des startups comme Attestation légale. Nous avons poussé leur porte avec l’argument que notre intervention leur permettrait de réduire leur contribution handicap, mais aujourd’hui nous n’en sommes plus là du tout. Ils viennent chercher la compétence. C’est la vraie réussite d’Handishare : faire presque oublier le handicap.

Quelles sont les valeurs qui vous portent ?

La solidarité, au sein de l’équipe et vis-à-vis de l’extérieur, l’engagement dans le travail, la transparence. Je partage toutes les informations avec l’équipe, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. L’intégrité, la sincérité et l’honnêteté sont essentielles pour moi. La « valeur travail » aussi est importante et me correspond particulièrement. Je travaille par passion, je ne vois pas les heures passer. Pendant 5 ans, je l’ai fait 15 heures par jour, sans week-end et sans vacances. À cela s’est ajoutée l’ouverture d’Handishare intérim et notre projet humanitaire Madashare pour soutenir la construction d’écoles à Madagascar. J’ai réalisé deux livres de photos vendus pour soutenir ce projet. Quand j’ai voulu me lancer dans ces ouvrages, on m’a mise en garde en me disant que je n’étais pas Yann Arthus-Bertrand mais je pensais qu’en partant de zéro on ne pouvait que progresser. Au final, ces ouvrages nous ont permis de récolter près de 200 000 euros et Yann Arthus-Bertrand a rédigé la préface de l’un des deux :  un sacré clin d’œil ! En 2019, avec une quinzaine de salariés en situation de handicap, nous sommes partis à Madagascar donner des cours dans une des écoles dont nous avions cofinancé la construction. Quand on se lance en partant de rien, le seul risque que l’on prend est celui de réussir. C’est aussi ça la force de l’entrepreneuriat, gagner la liberté d’aller au bout de ses idées.

Le siège d’Handishare est situé à Limonest dans le Rhône.
En savoir plus :
https://www.handishare.com/
https://www.madashare.fr/madashare/

* Créées en 2005, les entreprises adaptées permettent à des personnes en situation de handicap d’accéder à l’emploi dans des conditions adaptées à leurs capacités. Elles les accompagnent ainsi dans leur projet professionnel.

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Grégory Cuilleron : « Il faut suivre sa voie »
La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques de Norbert Alter

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Patricia GROS MICOL
Dirigeante Fondatrice