Photographe, reporter, réalisateur et militant écologiste, Yann Arthus Bertrand a fondé Goodplanet en 2005. Cette fondation reconnue d’utilité publique a pour mission la protection du vivant. Elle soutient des projets liés à l’agriculture, aux forêts, aux déchets et à l’énergie et aide les populations vulnérables à accéder à de l’énergie durable. Avec l’appui de la Ville de Paris, qui lui met à disposition le château de Longchamp et 3,5 hectares de parc dans le bois de Boulogne, Goodplanet ouvre en 2017 un lieu dédié à l’écologie ouvert à tous les publics. Aujourd’hui, il s’engage avec la fondation qu’il préside dans la transformation du Chalet du Parc, à Lyon.
Quel rôle attribuez-vous à la photo dans l’éveil des consciences ? En quoi vos travaux vous ont-ils conduits à vous engager dans l’environnement ?
Mes reportages photo m’ont emmené dans 130 pays. Tous ces lieux et ces paysages que j’ai traversés, photographiés, observés, m’ont beaucoup appris sur l’état de notre planète. Je me suis imprégné de la beauté du monde, mais aussi de sa pauvreté. J’ai hélas découvert aussi la folie des hommes qui, inlassablement, construisent sur des territoires naturels.
L’homme est un animal qui aime entreprendre, et ne s’arrête jamais.
Nous sommes près de 9 milliards d’individus sur terre, notre frénésie de construction semble illimitée. Chongqing, la plus grande ville du monde, située au sud-ouest de la Chine, a été créée dans les années 1990. Elle couvre aujourd’hui une superficie de 82 000 km2, l’équivalent de l’Autriche ! Le Pays a fait couler autant de béton en deux ans que les Etats-Unis en 100 ans… Cette croissance à tout prix est inquiétante.
J’ai commencé la photo dans les années 80. La photo « argentique » avait une autre signification. On prenait son temps avant de prendre une photo. Notre rôle de photographe consistait à aider les gens à découvrir le monde et des lieux qu’ils n’avaient jamais vus. Aujourd’hui, tout le monde est photographe de l’instantané. Et les images circulent très vite sur les réseaux.
Je m’intéresse maintenant davantage aux visages qu’aux paysages. Ils sont plus difficiles à saisir et traduisent aussi une autre réalité : celle d’une humanité engagée pour notre environnement.
Comment donner envie d’agir aujourd’hui à toutes les générations pour lutter contre le dérèglement climatique ?
L’émotion est sans doute un levier puissant pour donner envie d’agir. Ma vocation de photographe s’en est toujours inspirée, et mon travail consiste à susciter des émotions, pour faire réagir. Je suis un écologiste de la première heure et je me bats au quotidien pour transmettre des informations au plus grand nombre sur les conséquences du changement climatique. Force est de constater que nous ne suscitons pas toujours l’adhésion à ce combat contre le réchauffement. La crise économique et les difficultés sociales qu’elle engendre font passer les questions écologiques au second plan. Le pouvoir d’achat et l’emploi d’abord.
La solidarité est un autre vecteur d’engagement pour lutter contre le réchauffement qui frappe de manière inégale les territoires : l’inaction climatique a pour conséquence la montée des eaux et la disparition de certains archipels ou des sécheresses à répétition sur d’autres parties du globe. Les jeunes générations sont sensibles à ces inégalités, et prêtes à s’engager dans un élan de solidarité. Mais ne nous y trompons pas : même le dernier film d’Al Gore n’a pas modifié la trajectoire, et jamais une COP n’a fait descendre d’un gramme les émissions de CO2. Nos sociétés ont un besoin irrépressible d’énergies fossiles, car c’est le carburant de notre croissance. Et la croissance finance nos routes, nos écoles et nos hôpitaux. On ne parvient pas à arrêter leur usage. Tant qu’il y en aura, on les consommera, je le crains, jusqu’à la dernière goutte.
La beauté enfin, j’y reviens, est un recours précieux pour sensibiliser le grand public.
Longtemps, j’ai été fasciné par la beauté des lieux. Je m’en suis nourri et j’ai partagé cette beauté avec le public. Pour combien de temps ? Aujourd’hui, je m’intéresse davantage à la beauté des gens qui agissent, qui s’engagent et donnent du sens à leur vie. Elle s’appelle l’amour. C’est cette beauté là que je mets en valeur. Parce que c’est cette beauté dont le monde a besoin pour résister aux assauts de l’humanité. Le bénévolat est une source d’espoir : beaucoup de gens donnent de leur temps et de leur expertise pour s’investir dans la transition écologique. Regardons le monde avec les yeux grand ouverts. Nous ne pouvons plus être dans le déni de la réalité. Agissons au quotidien avec conscience. Et valorisons les réussites.
Vous avez lancé un lieu dédié à l’écologie dans le bois de Boulogne à Paris. Quel est son rôle ? Comment évolue-t-il ?
C’est un endroit où je veille à ce que règne l’écologie humaniste, faite de bienveillance et de gentillesse. Nous promouvons une écologie qui aime les gens pour leur donner envie d’agir. C’est un défi quotidien de faire fonctionner un lieu comme celui-là. On y trouve de belles expositions, des projections de films, des ateliers, on propose des rencontres avec des conférenciers, des dégustations, des concerts : tous les sens sont en éveil pour toucher les gens dans leur cœur. Nous accueillons chaque année 60 000 personnes pour leur faire vivre l’expérience d’une écologie positive en leur proposant une programmation artistique et culturelle qui leur donne envie de s’engager. Le lieu est immergé dans plusieurs hectares de nature, au cœur du bois de Boulogne, à deux pas de la capitale. La nature nous inspire et aide les visiteurs à prendre conscience de leur environnement. C’est un lieu de formation et de sensibilisation où nous accueillons autant des élèves que des salariés d’entreprises parce qu’il n’y a pas d’âge pour être acteur de la transition. Les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans le soutien à ce travail de prise de conscience. Elles ont les moyens de soutenir les associations qui agissent au quotidien, sur le terrain.
Vous êtes engagé dans la transformation du Chalet du Parc à Lyon. Quelle sera la contribution de Goodplanet ?
Goodplanet apporte son savoir-faire, ses méthodes de travail et son expérience. Mais ce sont les Lyonnais eux-mêmes qui vont piloter le projet. Mon souhait, c’est qu’une association lyonnaise prenne en charge le lieu, qu’il soit animé par des acteurs qui vivent ici, à Lyon, qui connaissent cette ville, ses habitants et ses acteurs. C’est le cas de la Fabuleuse Cantine pour la restauration et de la Maison Gutenberg pour le volet artistique. L’écologie, ce n’est pas une affaire parisienne, c’est l’affaire de tous, et c’est d’abord un sujet ancré localement. C’est donc aux Lyonnais de prendre leur destin en main pour le faire vivre, et nous les accompagnerons avec l’expérience du domaine de Longchamp et le recul de 7 ans de pratique d’un espace qui se renouvelle sans cesse. L’endroit est magnifique, au cœur de Lyon, dans ce parc de la tête d’Or cher aux Lyonnais. Je suis convaincu que le lieu trouvera son public. Et j’apporterai bien sûr des idées, avec mon équipe. Nous sommes tous au même niveau face à ce gigantesque défi.
Nous apportons des connaissances à des publics qui ignorent les fondamentaux de la nature qui nous entoure, alors qu’elle nous précède.
Le grand public, et les jeunes aussi, connaissent mieux les marques de voiture que les essences d’arbres. Et pourtant nous en avons 190 différentes, réparties en 7 espèces principales ! Le lieu, pour être inspirant, doit être convivial, agréable, et chacun doit pouvoir apprendre quelque chose de ces visites. Avec un restaurant innovant, de salles de séminaires et des parcours pédagogiques et artistiques, tout sera fait pour sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux sociétaux contemporains. Ce lieu est porté par la mairie de Lyon : les maires des communes sont des acteurs de premier ordre pour encourager les habitants à s’engager dans la transition écologique.
Il va falloir créer un mouvement pour donner envie de participer à ce projet du Chalet du Parc. L’une des réussites de Goodplanet, ce sont ses 350 bénévoles qui donnent la couleur et l’espoir à nos actions. Et pourquoi s’engager ? Parce qu’agir rend heureux. On l’a vu récemment avec les inondations à Valence en Espagne : des milliers d’habitants sont venus spontanément, avec leurs seaux et leurs pelles, aider les victimes. Cet élan donne de l’espoir. Nous ne sommes pas seuls.
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