Directrice du Musée des Confluences depuis 2012, Hélène Lafont-Couturier a été auparavant directrice du musée national des Cultures et de l’Histoire de l’immigration à Paris. Elle a également été conservatrice du musée des beaux-arts et du musée Goupil de Bordeaux, puis du musée d’Aquitaine jusqu’en 2004. Elle partage pour Valeurs d’entrepreneurs sa passion pour le public et ce grand musée devenu, en quelques années, emblématique de Lyon.

Le musée des Confluences est aujourd’hui reconnu à l’échelle française et internationale. Quel est son rôle et son positionnement dans le cercle des grands musées européens ? Comment se distingue-t-il ?

Le musée est unique dans son approche interdisciplinaire. Son nom a d’ailleurs été choisi avant son installation dans ce lieu merveilleux qu’est la confluence du Rhône et de la Saône. Nous avons fait le choix de rapprocher les objets, – des collections très différentes qui couvrent tous les continents, héritées du muséum des sciences naturelles de Lyon, des collections asiatiques du musée Guimet lyonnais, du musée colonial fondé par Edouard Herriot ou encore les objets rapportés par les missionnaires au 19è et au 20è siècle. Les approches aussi – des origines de l’univers jusqu’à la création contemporaine – et les disciplines enfin pour dérouler le grand récit du monde. Nous sommes souvent sollicités par d’autres institutions muséales pour donner un avis, livrer une expertise ou apporter un conseil.  Le musée est également emblématique de Lyon, où l’on vient aussi, désormais, pour découvrir ce lieu singulier. C’est une fierté pour notre établissement d’avoir pris sa place, en moins de 10 ans, dans le monde des musées et dans son territoire. En témoigne la part importante des visiteurs de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, très largement majoritaires. C’est un musée qui raconte des histoires et embarque les visiteurs dans une aventure : je suis très attachée à ce principe narratif fort, qui est un élément central du dispositif muséographique car il permet au plus grand nombre de comprendre le sens des expositions sans connaissance préalable du sujet. Notre ambition, c’est que le visiteur sente que le musée est fait pour lui. Ensuite, les scénographies, très immersives, contribuent à le plonger dans l’univers de l’exposition. Le musée, c’est enfin un bâtiment comme un nuage posé sur l’eau, surprenant, sans façade principale, tout en facettes, imposant et transparent, que l’on traverse et qui traverse. Un lieu où le visiteur est amené à pousser la porte pour déambuler et s’approprier le lieu, avant même d’acheter son billet.

Comment dirige-t-on l’un des plus grands musées français ? Quel est votre profil de manager ?

Avec agilité et engagement ! Lors de la création de l’établissement public, il a été décidé un plan d’effectif fixé à 94 ETP, avec l’externalisation d’un certain nombre de missions en maintenant un pilotage interne et une équipe de coordination. Depuis son ouverture, l’équipe a démontré sa capacité à être réactive, innovante, faisant preuve d’une grande adaptabilité tout en témoignant un attachement fort à l’institution. C’est une chance immense que d’avoir ainsi une équipe engagée qui sait se mobiliser pour relever les défis. J’aime travailler en équipe et être à l’écoute de mes collaboratrices et collaborateurs. J’ai besoin d’échanger, de partager et de pouvoir faire confiance. Une vision partagée de la stratégie de l’établissement est un élément essentiel à la conduite et à la réussite du projet de l’établissement. Diriger c’est aussi réorienter un projet ou encore y renoncer. Je crois qu’annuler un projet au bon moment est ce qui est le plus difficile à mes yeux. Il est également important de savoir faire un pas de côté, de décentrer son regard, d’oser et d’avoir de l’audace. La programmation d’une exposition sur le thème de la prison a rencontré un réel succès auprès d’un large public. La décision de programmer une exposition sur les Épidémies juste avant le Covid m’a certainement conduite à choisir ensuite le thème de l’amour. Pour les choix de programmation ou d’acquisition, la pluralité des regards des différents directeurs est précieuse et pertinente. L’approche interdisciplinaire pour la construction des expositions s’applique aussi à la gouvernance. 

L’approche interdisciplinaire pour la construction des expositions s’applique aussi à la gouvernance.

Vous avez créé un fonds de dotation pour engager les entreprises à prendre part au développement du musée. Que vous permet-il de faire ?

Le fonds de dotation du musée a été créé fin 2019 avec 4 membres fondateurs ; Evolem nous a rejoints en 2021. Il s’agit de la rencontre du musée, dans la durée, avec des entreprises qui s’impliquent dans la vie locale. Idée de faire ensemble, sur un même territoire avec des acteurs dont nous partageons un certain nombre de valeurs.

Le fonds de dotation a structuré son action autour de trois axes forts :

Les programmes Hors-les-murs pour aller à la rencontre de publics empêchés ou qui ont moins accès à la culture, comme par exemple les cabanes à histoires, un dispositif de médiation autonome hors-les-murs qui va à la rencontre d’un public éloigné.  Installées dans l’espace public le plus quotidien (gare, aéroport, administration, EPHAD, hôpitaux) ou au cœur d’entreprises partenaires du fonds de dotation, ces cabanes proposent une immersion sonore, le temps d’une courte histoire à partir d’objets emblématiques des collections. Offrir ainsi un instant de liberté, un récit immersif qui s’inspire d’un objet d’une collection ou d’un sujet d’actualité, peut permettre à chacun de s’échapper, d’apprendre, et demain de venir au Musée ? Ce modèle a été exporté au Vietnam où les cabanes vivent, avec un autre public.

L’accessibilité du parcours permanent pour une meilleure accessibilité des collections, comme la création de la galerie Émile Guimet où l’on rend hommage aux donateurs, un espace souvent privatisé par les entreprises, ouvert gratuitement le week-end et les vacances scolaires, ou encore des travaux importants d’amélioration de l’exposition permanente (origines, espèces…)

Une démarche pour des expositions temporaires plus responsables : une grande partie des déchets produits par le musée proviennent des expositions temporaires. Après avoir mis en place montage et démontage propres d’expositions temporaires, le musée a franchi un cap en se lançant dans l’éco-conception de ses expositions avec Afrique, mille vies d’objets et À nos amours.

Le fonds de dotation soutient des projets emblématiques pour un musée encore plus responsable et ouvert à tous (impact culturel, social et environnemental).

Quelles sont les principales innovations introduites dans la conception et la scénographie des expositions ? Comment interagissez-vous avec le public pour adapter vos expositions ? et pouvez vous nous dire un mot des prochaines expositions en préparation ?

Nous cherchons en permanence à nous réinventer et à réenchanter. L’exposition A nos amours, a été conçue et présentée au Palais de la découverte sous le titre De l’amour en 2019. Lors de sa visite avec l’équipe de direction du musée, nous avons été séduits par l’approche pluridisciplinaire, ludique et immersive de ce sujet universel et avons souhaité pouvoir présenter l’exposition à Lyon en l’adaptant à l’ADN du musée. Cette nouvelle exposition a été enrichie grâce à la présentation d’objets de collection, qui permettent d’évoquer les cultures du monde et les autres espèces animales dans une scénographie joyeuse et colorée où nous avons introduit un principe de récit. L’amour accompagne toute une vie humaine, depuis le lien avec les parents, l’attachement, l’estime de soi et la confiance en soi, qui mène à l’aller vers l’autre, l’altruisme ; puis, l’amour conjugal, physique, mais aussi la question du manque… L’exposition a été entièrement revisitée, avec de multiples cœurs, répond aussi bien à un public familial qu’à un couple d’amoureux, des scientifiques ou des adolescents en quête de réponses. Nous nous intéressons à ce qui se fait ailleurs, ainsi la Corée du Sud, qui a introduit le numérique à sa juste place dans les expositions. Ni trop, ni trop peu.

Dans l’exposition, le récit est révélé par la scénographie, et la réussite de cette narration repose aussi sur des principes scénographiques et certains choix de médiation permettant aux visiteurs d’avoir une réelle proximité avec les collections présentées. L’entrée de l’exposition est un espace immersif qui introduit le visiteur annonçant le début de l’histoire. Notre objectif, dès l’entrée, c’est que le visiteur oublie qu’il est à Lyon, décroche de son quotidien et rentre dans un autre monde, par tous les sens, visuel, auditif, sensoriel.

…Lieux d’émerveillement, les musées demeurent des lieux d’instruction où la parole doit être perçue comme sûre par le public.

Où l’on s’ouvre au monde et où l’on est aidé à comprendre la complexité du monde dans lequel on vit.

Nos deux prochaines grandes expositions seront consacrées au printemps 2024 aux Epidémies, avec le sous-titre « prendre soin du vivant », et, à l’automne avec « le Temps d’un rêve ». En moyenne, nous consacrons 10 ans de notre vie à rêver ; formidable coïncidence avec le Musée qui fêtera ses 10 ans en décembre 2024 !

Deux expositions de plus petite taille seront également proposées avant l’été : le travail photographique de Vincent Mugnier sur la forêt des Vosges, et une seconde destinée au jeune public qui traitera des espèces survivantes de l’extrême. C’est aussi ce qui fait la force de ce musée : une offre renouvelée, qui s’adresse à des publics différents.

Le musée aura 10 ans en 2024. Quels sont les principaux défis de l’établissement pour les prochaines années ?

Notre défi, c’est de nous projeter sur les 10 ans à venir, en nous réinventant. Nous allons entièrement reconcevoir l’exposition « sociétés », un thème majeur de notre époque, pour une ouverture à l’horizon 2026. Nous ne restons pas sur nos positions, nous évoluons aussi avec le temps qui passe, nous acceptons d’être bousculés, remis en question. C’est par cette exigence que nous saurons nous projeter vers la prochaine décennie.

La première reconnaissance du musée est venue du public, et nous souhaitons l’associer pleinement à l’anniversaire des 10 ans :  l’interroger, sur l’exposition qui l’a marqué au cours des 10 premières années, sur l’objet préféré, sur ses attentes pour les années à venir. Nous allons également réaliser un bel ouvrage sur le musée lui-même, son architecture, ce qu’il est devenu, en donnant la parole largement au public qui nous adresse très souvent des photos formidables du bâtiment. J’aimerais que l’on introduise une partie de ces photos dans cet ouvrage. L’anniversaire sera prioritairement dédié à nos publics, avec de nombreux événements qui démarreront en décembre et se prolongeront jusqu’à l’été.

Nous allons poursuivre notre odyssée. En 2025, une grande exposition sera consacrée à l’Amazonie en lien avec des collectes récentes faites par l’une de nos collaboratrices, partie vivre chez les populations amazoniennes. Elle a effectué plusieurs séjours au cours des 3 dernières années pour réactualiser les connaissances par rapport à des collections anciennes. Elle est revenue avec des données étonnantes, et une collecte d’objets.  2025 sera l’année du Brésil, et l’exposition fera partie d’un large programme de rapprochement avec ce grand pays. Nous espérons pouvoir accueillir des représentants des ethnies concernées, pour leur rendre hommage et les faire témoigner.

A relire :
Emery Jacquillat : « Il faut remettre du temps long dans la réflexion »
Isabelle Huault : Faire émerger une vision plus éclairée du monde

Photo d'Hélène Lafont-Couturier, directrice du Musée des Confluences, pour Valeurs d'entrepreneurs, le blog d'Evolem
Hélène Lafont-Couturier
Directrice Générale

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