Président fondateur de l’entreprise Extra Sports, Michel Sorine a été victime d’un accident de vélo en 2014 qui l’a rendu tétraplégique. Il partage pour valeurs d’entrepreneurs sa passion pour le sport, vecteur d’épanouissement dans le cadre professionnel, et son regard sur l’entreprise contemporaine.

Vous êtes fondateur d’Extra Sports, une entreprise spécialisée dans l’organisation d’événements sportifs outdoor. Comment s’organise l’entreprise et quel est votre rôle dans son développement ?

J’ai commencé ma carrière comme entrepreneur. Puis, au bout de 10 ans, nous avons vendu notre agence de communication à un grand groupe et je me suis retrouvé simple salarié. J’étais contraint de me concentrer sur des tâches de reporting, sans pouvoir choisir les dossiers sur lesquels je travaillais, et de répondre à des appels d’offre en permanence, pour un résultat mitigé. En 2000, j’ai démissionné et j’ai fondé une entreprise avec deux travailleurs indépendants : un graphiste et un commercial. Je me suis concentré sur la rédaction, domaine dans lequel j’excellais, et j’ai apporté des clients. Avec une idée novatrice : créer un département dédié aux événements sportifs outdoor, ma passion. J’ai lancé le département sportif en 2001. Avec des premiers succès : Lyon Free Bike, la reprise de la SaintéLyon… Parallèlement, la pratique du trail running se développait dans les années 2000. Nous, les citadins, allions nous entraîner sur les collines de Lyon, sur des parcours de 10 à 20 kilomètres. De là nous est venue l’idée d’organiser un trail urbain : Lyon Urban Trail. C’était une idée nouvelle, personne n’en avait jamais fait. En 2008, j’ai essuyé beaucoup de critiques dans la presse. Les gens me demandaient : “Qu’est ce qu’ un trail urbain ?” C’est un mélange de genres, la ville et la nature ! Aujourd’hui, les trails urbains sont organisés dans toutes les grandes villes de France.
Le département sportif s’est développé progressivement, englobant de nouveaux événements, jusqu’à devenir prépondérant dans mon activité et aussi rentable que le département communication dans les années 2010. Le projet était peut-être de séparer les deux activités. Nous étions sur le point de le faire en 2014 lorsque j’ai été victime d’un accident, qui a donné un sérieux coup de frein à mes ambitions. Après une convalescence de seize mois, j’ai repris le travail progressivement, d’abord à mi-temps. Cette période a été difficile. Quand on n’a pas de capital et qu’on n’est pas issu d’une famille aisée, être entrepreneur reste un défi quotidien. J’ai vécu des moments d’angoisse en tant que chef d’entreprise. On oublie que, bien souvent, l’entrepreneur se retrouve seul face à ses responsabilités. Il doit tout risquer.

En 2019, j’ai racheté les parts du département sportif et je suis parti avec tous les employés et événements sportifs. J’ai fondé une nouvelle entreprise, dans laquelle je suis actionnaire principal et président. J’ai associé un jeune et fidèle collaborateur et nous avons pris un nouveau tournant. Nous comptons actuellement une vingtaine de salariés, y compris des stagiaires et des alternants, ainsi que deux nouveaux associés. Nous sommes restés fidèles à cette philosophie qui a toujours été la mienne : prudence et répartition. Lorsque l’entreprise fait des bénéfices : 40 % sont réinvestis dans l’entreprise, 30 % sont attribués aux salariés et 30 % sont versés en dividendes entre les associés.
Nous nous trouvons actuellement à un carrefour : Devons-nous nous adosser à un grand groupe pour continuer notre développement ? Le secteur évolue. Je ne pense pas à moi mais à mes jeunes associés. Dans quelques années, il sera sans doute nécessaire de le faire pour pouvoir atteindre des objectifs plus ambitieux et répondre à des appels d’offres nationaux.
Je me considère encore, à 60 ans, comme un jeune entrepreneur, car je reste passionné par mon travail. Je n’ai aucune intention de ralentir. Le travail est ma principale occupation. Je me vois bien continuer à travailler pendant encore dix ans, et voir mon entreprise prospérer. J’ai à cœur de transmettre mon savoir à mes jeunes associés.
Avant mon accident, je consacrais pratiquement tous les week-ends à participer à des courses. J’observais ce qui se faisait de mieux ailleurs et j’essayais d’appliquer ces pratiques chez nous. C’était toujours un bonheur de porter un dossard, d’être sur la ligne de départ et d’arrivée dans des endroits grandioses, avec une équipe de bénévoles. En 2001, lorsque j’ai repris la SaintéLyon, c’était un événement méconnu avec une image vieillotte, Depuis, elle est devenue la plus grande course nature française.
Aujourd’hui, notre objectif reste inchangé : faire vivre une expérience sportive supérieure à nos participants… Mon objectif, c’est de vendre du bonheur aux gens.

Vous parlez d’éco-responsabilité dans le sport. Pouvez-vous nous dire ce que cela recouvre ?

Depuis presque 20 ans, nous essayons de réduire l’empreinte carbone de nos événements. Nous avons progressivement supprimé les plastiques jetables, incité les sportifs à utiliser le train plutôt que leur voiture. Et nous veillons également à acheter local et à limiter au maximum les produits fabriqués à plus de 1000 km. Nous avons déjà considérablement réduit nos achats en Asie cette année, et nous souhaitons passer progressivement à une fabrication 100 % française de tous nos goodies. Un t-shirt qui coûtait 3 € importé de Chine coûtera 15 € fabriqué en France. Mais cela représente un engagement important pour nous. Nous avons signé la charte des 15 engagements écoresponsables des organisateurs initiée par le ministère des Sports, réalisé un diagnostic de certains de nos événements sportifs dont la 71e édition de la SaintéLyon. En 2025, nous ferons de nouvelles propositions. Aujourd’hui, nous examinons tous nos événements sous l’angle de l’écoresponsabilité. Nous sommes raccordés au réseau d’eau potable de la collectivité, lorsque cela est possible, nous proposons des ravitaillements à base de produits locaux. Nous servons des boissons en vrac et nous récupérons toutes les bouteilles pour les recycler. Et pour diminuer notre empreinte carbone, il faut agir sur les déplacements car, sur un événement, ces derniers représentent la plus grosse partie de cette empreinte.
Hier, nous communiquions pour attirer des étrangers. Aujourd’hui, nous faisons machine arrière pour privilégier le contact avec le local et le national. Sur un marathon, nous avons 7 % de participants étrangers. La moitié des participants viennent de l’extérieur de la grande région Auvergne Rhône-Alpes. Mais gardons en tête que l’événement le plus propre, c’est celui qui n’a pas lieu !

Quelle est votre vision de la place du sport dans la société ? et dans l’entreprise ?

Quand j’ai fondé ma boîte en 2000 avec mes associés, la première chose que nous avons faite, c’est d’installer une douche dans l’entreprise. J’ai toujours pratiqué des activités sportives dans mes journées de travail. Entre midi et deux, c’est un moment qui compte, ce n’est pas une perte de temps. Si les gens que nous recrutons aiment courir ou faire du vélo, c’est un plus, car ils comprennent de quoi nous parlons. Le week-end, nous leur offrons des dossards pour participer à des courses, comme le marathon de Rome par exemple. Chaque mardi, un coach vient dans nos bureaux pour une préparation physique générale : c’est le “Mardi Transpi”. En été, ils vont plutôt faire du vélo.

Ma conviction c’est que le sport doit s’inviter dans toutes les entreprises.

Sur 100 dossards proposés, notre objectif est d’en vendre au moins 10 % aux entreprises. Une centaine d’entreprises ont participé cette année à l’événement Lyon Urban Trail. Nos métiers sont très sédentaires. Avoir la possibilité de ne pas attendre le week-end pour aller faire du sport est salutaire. Faire du sport dans la journée permet de réfléchir et de clarifier ses idées, de discuter, entre collègues.

Lorsque les salariés prennent soin de leur corps et font un peu de sport, il y a moins d’absentéisme, ils sont plus en forme, plus concentrés, plus vifs.

Dans les années 90, j’ai négocié un temps partiel à 80% pour m’occuper de mes jeunes enfants et pouvoir faire du vélo. J’ai considérablement amélioré mon kilométrage à l’époque mais ma carrière à subi un coût d’arrêt ! (rires)

Quel profil de manager êtes-vous ? Comment concevez-vous le rôle de l’entreprise dans la société contemporaine ?

Je suis tombé dans tous les pièges. Paternaliste à l’ancienne, hyper prudent dans mon mode de gestion. Je développe le copinage avec les salariés. J’ai manqué d’ambition sur beaucoup de choses, je ne pense pas être un visionnaire, mais j’ai pourtant réussi pas mal de choses !
L’entreprise est un lieu où l’on passe une grande partie de notre temps. Elle a un rôle crucial à jouer dans la société contemporaine. D’une part, c’est un lieu où l’on travaille, où l’on crée de la valeur économique, mais c’est aussi un lieu où l’on peut s’épanouir, où l’on peut trouver du sens à ce que l’on fait. Je crois beaucoup en l’idée que le travail ne doit pas être une contrainte, mais plutôt un moyen de réalisation personnelle et professionnelle. Donc, créer une ambiance de travail positive, où les salariés se sentent bien, où ils peuvent exprimer leur créativité et s’épanouir, c’est essentiel à mes yeux.

C’est pourquoi je veille à incorporer des éléments de loisirs, de convivialité, dans le quotidien de l’entreprise.

Cela contribue à créer un environnement de travail plus dynamique, plus motivant, et donc plus propice à la réussite collective. L’entreprise doit être un lieu où chacun peut s’épanouir pleinement, tant sur le plan professionnel que personnel, et où le travail et les loisirs peuvent se rejoindre harmonieusement. La conception du travail et de l’entreprise a profondément changé. Ce qui était considéré comme normal ou nécessaire ne l’est plus forcément aujourd’hui. Les nouvelles générations accordent souvent une grande importance à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ainsi qu’à la flexibilité dans l’organisation du travail. Cela peut parfois créer des différences de perception entre les générations plus anciennes et les plus jeunes. Mais l’objectif reste le même : créer un environnement de travail où chacun se sent épanoui et peut donner le meilleur de lui-même.
Nous travaillons fréquemment les week-ends. Nous avons déjà prévu douze événements en 2024, au moins douze week-ends mobilisés. Certes, tout le monde ne participe pas à chacun de ces douze événements, mais les employés sont sollicités le samedi et le dimanche Nous compensons cette contrainte en valorisant le travail effectué les samedis avec des heures supplémentaires majorées, et en accordant aux employés le droit de récupération le dimanche. En fin de compte, nos employés s’adaptent bien à cette organisation.

Vous avez été choisi pour porter la flamme des jeux paralympiques en août prochain. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce choix et ce qu’il signifie pour vous ?

C’est l’adjointe aux sports de la ville de Lyon, Julie Nublat-Faure, qui me l’a proposé. Au début, étrangement, je n’étais pas très enthousiaste, car il se trouve que je l’avais déjà portée en tant que personne valide en 2006, à l’occasion des Jeux de Turin. La flamme avait fait une étape en France à cette occasion. Le président de la région de l’époque, Jean-Jacques Queyranne, avait demandé aux grands organisateurs d’événements régionaux de la porter sur quelques kilomètres. C’était en hiver, et cela ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable. Pour autant, je ne voulais pas avoir l’air de bouder cette occasion. J’ai donc accepté. Je le fais d’abord pour soutenir cette initiative. Il y aura de nombreux relayeurs, mais pour porter la flamme, nous ne sommes que deux : Inès Dahmani, Vice-présidente et coach du club de foot de La Duchère ; et moi-même. Nous la porterons sur deux cents mètres. J’étais embêté car je ne pouvais pas actionner mon fauteuil et porter la flamme en même temps. Les organisateurs ont trouvé une solution et me fourniront un support que je pourrai adapter sur mon fauteuil.
J’ai des relations cordiales avec les élus de tous bords. À Lyon, la majorité municipale et métropolitaine est plutôt sensible à tous nos efforts menés en matière d’écoresponsabilité. C’est un honneur, bien sûr, et c’est aussi une belle exposition médiatique de porter cette flamme. Mais ce n’est pas l’aboutissement de ma vie !

Ma fierté, c’est que nous devons être peu nombreux dans le monde à avoir porté la flamme une première fois en tant que valide et une deuxième fois comme personne handicapée !


Quand j’ai eu mon accident en 2014, ma vie a pris un autre tournant. Mais je ne me suis surtout pas arrêté. J’ai continué à m’accrocher à ce que je faisais. Ma résilience vient en grande partie de là. Les gens que j’ai croisés au centre de rééducation, qui ne font rien et restent chez eux, dépérissent. Pour autant, le monde du travail et des transports est-il adapté aux personnes handicapées ? C’est un autre débat.

L’entreprise est selon moi un vecteur de résilience, parce que c’est un lieu de réalisation de soi.

Mon point fort, l’écriture, demeure aujourd’hui ce que je peux continuer à bien faire

A relire :
Jean-Philippe Courtois : révéler le potentiel entrepreneurial des jeunes venus de tous les horizons
Philippe Gabillet : l’entrepreneur est un optimiste de but et un pessimiste de chemin

Photo de Michel Sorine et son équipe pour le blog Valeurs d'entrepreneurs
Michel Sorine
Président