Vice-président exécutif et Président des partenariats de transformations nationales chez Microsoft, Jean-Philippe Courtois est également Président et cofondateur de l’association Live for Good. Il partage pour Valeurs d’entrepreneurs son regard sur l’entrepreneuriat des jeunes comme vecteur d’activités à impact écologique et social.

Vous êtes aujourd’hui un des leaders du groupe Microsoft. Quels enseignements tirez-vous de votre expérience pour concilier développement économique et développement durable ?

La mission d’origine, selon Bill Gates, c’était d’installer un PC dans chaque foyer et sur chaque bureau. En 2014, la mission a évolué : donner à chaque personne et chaque organisation les moyens de réaliser ses ambitions. Microsoft ne peut réussir dans près de 200 pays du monde que si l’entreprise permet d’assurer le succès de l’économie au plan social, de la durabilité, des personnes et des organisations qui la composent. Nous devons rendre possible cette transformation des sociétés par l’innovation technologique, – le cloud et l’intelligence artificielle – , pas seulement par la consommation de ressources numériques mais aussi par des accords et partenariats de transformation nationale dans lesquels nous travaillons sur des programmes de formation auprès de populations très diverses (la tech n’est pas très diverse) ;  nous sommes également engagés sur les sujets de responsabilité de l’intelligence artificielle (à l’heure de Chat GPT), pour proposer un cadre éthique et une gouvernance aux entreprises. Nous participons enfin à la discussion avec les Etats pour que l’IA soit au service de l’Homme et pas une menace pour l’humanité.

Par ailleurs, nous collaborons avec des acteurs du changement : nous embarquons 1000 entreprises et start-up à impact et entrepreneurs sociaux dans un programme d’innovation. Et nous les aidons à commercialiser leur offre en matière de développement durable, également auprès de nos clients. Notre objectif est bien d’aider nos clients dans leur feuille de route ESG, en matière environnementale, sociale et de gouvernance, avec des solutions numériques.

Vous avez fondé en 2015 l’association Live for good, pour aider les jeunes à entreprendre sur des sujets à impact écologique et social. Comment les accompagnez-vous pour passer à l’action ?

J’ai cocréé cette association avec ma femme et mes 2 filles en 2015 pour révéler le potentiel de jeunes venus de tous horizons, par l’entrepreneuriat à impact, et accélérer l’innovation positive au cœur d’une communauté engagée. « Entrepreneurs for good », aide depuis 8 ans des jeunes de 18 à 30 ans qui portent un projet à impact, à créer leur entreprise. 40% d’entre eux sont issus de publics fragiles (milieux défavorisés, RSA, handicap, QPV etc.). Nous lançons deux appels à projets par an (3 à partir de septembre). 3 promotions de 50 jeunes (en Ile de France, en PACA et en Auvergne Rhône Alpes) suivent un programme pédagogique de 9 mois. Premier module : les « soft skills » des jeunes pour les aider à développer un leadership positif par des méthodes d’intelligence collective, comprendre leur mission personnelle, embarquer leurs parties prenantes par une énergie et une communication positive, co construire le changement… Le deuxième leur apprend à créer une start-up à impact, depuis la définition de la mission de l’entreprise en passant par la construction de produits et services avec une phase de test auprès des clients et bénéficiaires, une première phase de financement, la création d’une équipe (souvent des volontaires) et comment on va mesurer son impact et maximiser l’un des 17 objectifs de développement durable de l’ONU avec un modèle économique. Nous réunissons les jeunes 3 fois 4 jours sur un format campus, en résidentiel au cours des 9 mois, pour favoriser la création d’une communauté solidaire et mixte. Et grâce à cette mixité, se développent des relations très fortes et solidaires entre les participants. Entre deux sessions en présentiel, nous leur proposons des ateliers digitaux pour accélérer la création de leur projet.

Deuxième outil, Coach for Good est un programme de coaching à destination des jeunes, animé par des bénévoles, issus de grandes entreprises partenaires comme BNP ou Kiabi mais également des entrepreneurs ou coachs certifiés.

Les jeunes émettent les signaux faibles de l’innovation sociale.

Ces coachs apprennent beaucoup de ces jeunes qui émettent les signaux faibles de l’innovation sociale. Les tandems coach-coaché durent parfois plusieurs années bien au-delà des 9 mois de notre programme.

Troisième outil, la création d’une plateforme cloud où nous avons digitalisé tous nos appels à projets et des outils et ressources pédagogiques. Les jeunes peuvent poster des « SOS » quand rien ne va plus : créer une start-up génère aussi des déconvenues et des difficultés. Cette plateforme est entre-temps devenue une société à mission. Huggle, filiale de l’association, vend ses services de digitalisation de l’impact aux plus grandes fondations et associations (Unis-Cités, La Croix-Rouge…).

Que deviennent les jeunes que vous avez suivis ? Y a-t-il une marque Live for Good ?

Notre objectif est de veiller, au bout de ces 9 mois, à ce que les jeunes aient démarré leur entreprise avec un modèle viable dans la durée. Nous avons accompagné (fin décembre 2022) 349 jeunes. Et à ce jour, 186 entreprises sont en activité. Pour des primo-entrepreneurs qui développent des modèles plus compliqués que les entreprises commerciales, c’est un beau score. 566 emplois ont été créés générant des impacts forts, comme des emplois pour des centaines de travailleurs handicapés dans les ESAT.  Des exemples ? Marius avec Le Pavé recycle des milliers de tonnes de plastique chaque année dans des matériaux d’aménagement comme les sièges de la future piscine olympique de Paris. « Fabrik » recycle des tonnes de textiles dans des matériaux d’aménagement pour des boutiques… Nous suivons leur développement : l’important c’est que cette communauté d’alumni continue à développer son impact dans des univers très différents.

De nombreux diplômés s’interrogent sur la manière de concilier leurs convictions et les attentes des employeurs. Quelle est votre vision pour concilier les valeurs écologiques et sociales des nouvelles générations, l’avenir des entreprises et l’entrepreneuriat ?

Je suis sensible à ce sujet et directement exposé à ces situations à travers les jeunes que je coache, à leur vision du monde. Cela nécessite d’abord que les entreprises créent des produits et des services qui répondent aux enjeux sociétaux et environnementaux. Ma conviction, c’est qu’il faut réinventer des parcours professionnels, d’apprentissage et d’éducation pour « atterrir » dans les entreprises. Cette génération recherche un sens profond d’accomplissement, de respect pour la petite pierre qu’ils vont apporter à l’édifice. Ils veulent être fiers de ce qu’ils font, respecter une éthique. Dans le board des plus grandes entreprises, on bascule de l’aire de la philanthropie et de la RSE vers l’ESG (Environnement, social et Gouvernance), un nouveau standard au cœur de la stratégie des entreprises. Cette évolution oblige les managers avec leurs salariés, vis-à-vis de leurs actionnaires et leurs clients, à faire une démonstration très concrète de réduction de leur empreinte carbone, d’améliorer leur contribution sociale directe et indirecte et enfin de mettre en place une gouvernance éthique et responsable. Pour attirer la jeunesse, les entreprises doivent changer d’état d’esprit. Nous sommes au début d’une nouvelle ère. C’est la condition pour attirer et motiver des jeunes à rejoindre les grandes entreprises…et à y rester.

Vous faites la promotion du leadership positif. Quel message central souhaitez-vous adresser aux jeunes qui veulent entreprendre pour un monde plus équilibré ?

Le leadership positif est une école de pensée et une pratique du leadership basée sur les apports de la psychologie positive, les neurosciences, le mindfulness (méditation de pleine conscience). Le modèle se développe autour de trois cercles concentriques : moi, moi et les autres, moi et le monde. C’est d’abord la prise de conscience de mon moi. Si on ne bâtit pas une fondation solide sur soi, sa santé physique et mentale, on ne prend pas conscience que l’on peut s’appuyer sur une énergie positive. L’homme depuis Néandertal, a un instinct de survie. Il est interpellé plus naturellement par les dangers et les craintes, bien exploités par les réseaux sociaux, que par les énergies positives capables d’entrainer les autres. Prendre confiance en soi, être au clair avec sa raison d’être, c’est un élément central. Ensuite il s’agit d’utiliser sa mission personnelle, son énergie positive pour co construire avec les autres, les coacher pour les faire grandir et enfin bâtir le changement avec toutes les parties prenantes pour changer le monde positivement.

Selon Mark Twain, les deux jours les plus importants de notre vie sont le jour où vous êtes né et le jour où vous découvrez pourquoi. Les jeunes ont ce discernement qui les aide à savoir pourquoi ils sont là pour bâtir le changement avec les autres de manière positive. Et avoir un impact positif sur le monde.

L’envie de changer le monde n’attend pas le nombre des années.


Je suis convaincu que l’envie de changer le monde en mobilisant les talents n’attend pas le nombre des années. On a plus de spontanéité, de créativité et d’énergie à y consacrer quand on est jeune. Le domaine de l’entrepreneuriat à impact offre la capacité, pour chacun, d’avoir un effet positif sur le monde, en se nourrissant du leadership positif. Chacun.e n’est pas seulement critique de la situation ; il est aussi un entrepreneur de sa vie, un entrepreneur capable de générer un impact positif.

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Photo de Jean-Philippe Courtois pour le blog Valeurs d'entrepreneurs
Jean-Philippe Courtois
VP Microsoft - Président Live for Good

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