Fondateur du cabinet de conseil Quattrolibri, Julien Dossier est spécialisé dans les stratégies de transition écologique. Pour lui, le contexte sanitaire actuel est une opportunité à ne pas manquer pour engager profondément cette transformation et tenir la trajectoire de neutralité carbone. Il partage sa vision de l’entrepreneuriat et son rôle dans cette nécessaire transformation à grande échelle. Une véritable métamorphose. 

Quel est le rôle des entreprises pour un monde plus neutre en carbone ?

Julien Dossier : Nous avons été quasiment à l’arrêt pendant le confinement, et pourtant nos émissions n’ont chuté « que » de 60 %. Pour atteindre la neutralité carbone, nous devons opérer le grand chantier de transformation de l’économie et de nos appareils industriels au plus vite. Nous devons impérativement y parvenir pendant la période de déconfinement partiel, qui va durer entre un et deux ans. Nous n’avons jamais pu entreprendre ce changement en profondeur dans une économie qui tourne à plein régime. En mode ralenti, les entreprises peuvent opérer ce virage, elles peuvent faire tourner la moitié de leur appareil industriel et reconfigurer les sites mis à l’arrêt. 

Que pensez-vous de la manière dont elles se mobilisent dans ce contexte de crise ?

Face à cette situation inédite, l’esprit entrepreneurial est vivant, pertinent et porteur ! Des entreprises osent prendre des dispositions radicales pour s’adapter comme celles qui se sont mises en ordre de marche pour produire des masques ou du gel hydroalcoolique.

Il est évident que certains domaines vont devoir se transformer assez radicalement.

Je pense par exemple aux entreprises de l’aérien. Mais cela s’est déjà vu ! Avant de devenir l’un des premiers constructeurs de téléphonie mobile, Nokia était une société d’exploitation forestière puis un producteur de bottes en caoutchouc. L’entreprise a su se réinventer en se diversifiant. 

Consommateurs et usagers sont-ils prêts de leur côté ?

Là aussi, la pandémie redistribue les cartes. Nous ne nous croyions pas prêts à vivre confinés et pourtant, on l’a fait. Le pays s’adapte, invente et tient, mais à un coût social terrible, qui a creusé les inégalités et fragilisé les plus fragiles d’entre nous. Nous devons prendre la mesure de cette radicalité car c’est un signal fort qui nous autorise à penser que des changements en profondeur sont possibles SI nous prenons soin les uns des autres. Le déconfinement doit impérativement allier santé publique et écologie : privilégier le vélo c’est nécessaire pour désengorger les transports publics ET pour réduire les émissions ET pour apporter des solutions de déplacement accessibles à tous. Protéger les piétons, c’est leur permettre de se croiser sur la chaussée en respectant les distances sanitaires. C’est donc un aménagement des rues étroites en zones de rencontre, à faible vitesse et basculer la priorité de la circulation automobile au vélo ou à la marche ! Au-delà des modes de déplacements, cela impose de penser la localisation des services à l’aune de la proximité : il est d’autant plus acceptable de se déplacer à pied ou à vélo que les lieux de destination sont proches. Dans la logique des épiceries mobiles et des marchés, plusieurs options sont possibles pour rapprocher les commerces et les services de la population.

Quels leviers le monde économique doit-il déployer pour accompagner cette transition ?

Ces mesures de déconfinement sont un gigantesque gisement d’emplois si nous nous engageons résolument vers ce double objectif santé-environnement. Les nouveaux usages donnent le signal à l’entrepreneur qui investit et produit un nouvel équipement qui, en retour, permet la généralisation de nouveaux usages. Pour que ce modèle économique fonctionne, il faut pouvoir amorcer et tester, avant de pérenniser. Dans l’urgence, il faut être léger et agile pour répondre vite aux besoins critiques qui vont s’exprimer dans cette phase de chômage de masse. Une gamme d’activités entrepreneuriales est nécessaire ; démonstrateurs mobiles, activateurs d’usages, prototypes… pour expérimenter, mettre en scène et donner à voir de manière agréable et ludique. La joie d’agir au service de quelque chose auquel on croit est un profond levier de changement. Faire émerger un tel désir est en soit un projet entrepreneurial.

Et de quelle manière coupler ces efforts à ceux engagés par les pouvoirs publics ?

Il est fondamental qu’acteurs économiques et pouvoirs publics avancent ensemble au service de l’intérêt général.

L’État joue un rôle essentiel aux côtés des entreprises : c’est le chômage partiel, pris en charge par la nation, qui protège les emplois. La mobilisation publique est le socle qui rend possible cette action, qui donne de la marge de manœuvre pour se réinventer, qui coordonne l’émergence de filières, qui donne de la visibilité aux investissements et aux engagements entrepreneuriaux. De nombreux chefs d’entreprises ont une vision éclairée de leurs responsabilités dans ce défi, mais la rupture avec l’ancien monde économique n’est pas encore assumée, comme l’ont montré les démarches de lobbying demandant à alléger les normes environnementales. Face à l’urgence écologique, les pouvoirs publics doivent poursuivre la démarche engagée avec la gestion de la pandémie et arbitrer du côté de la science. Ce sont les lois de la physique et de la biologie qui sont intangibles, à nous de nous adapter. Le changement climatique doit être mis sur le même plan de risque qu’une pandémie mortelle. C’est là un véritable projet de société, qui suppose l’émergence d’une nouvelle culture, culture du risque, culture des loisirs, culture de la coopération. Emmanuel Macron parle d’une rupture anthropologique, c’est un immense chantier de pédagogie, d’exemplarité pour les puissances publiques.

Opérer une métamorphose, c’est un programme séduisant, qui aide à donner du sens à ce qu’on est en train de vivre.

Et c’est un appel à entreprendre. Certains domaines vont devoir se transformer assez radicalement »

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Photo du livre de Julien Dossier : renaissance écologique

Bibliographie :
Renaissance écologique. 24 chantiers pour le monde de demain. (Éditions Actes Sud, coll. Domaine du Possible, 2019)

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Julien Dossier
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