Quand il termine ses études en école de commerce avec une spécialisation dans l’entrepreneuriat social, Philippe Albanel rejoint Emmaüs Défi. Il crée ensuite son association de sensibilisation à l’économie sociale et solidaire pour réaliser des reportages sur des entreprises engagées dans le monde. En rentrant en France, il se lance dans l’entrepreneuriat en franchise d’une enseigne d’aide à domicile, Senior Compagnie. Soucieux d’aller plus loin dans l’accompagnement des personnes âgées isolées, il crée les cafés Daddy, des cafés uniques en leur genre. Et une expérience riche en enseignements.

Pourquoi avoir choisi le secteur de l’aide à domicile en rentrant en France ?

Cela me semblait être une bonne idée, d’une part car c’était un secteur dynamique avec des besoins et de beaux métiers qu’il était important de valoriser, d’autre part car cela répondait à un fort enjeu sociétal d’accompagnement des personnes âgées isolées. C’est comme ça que je me suis  lancé en 2015. J’ai rejoint en franchise le réseau Senior compagnie que j’ai récemment quitté mais que j’ai eu beaucoup de chance d’intégrer. Avec cette activité, j’ai vraiment découvert tous les enjeux liés au vieillissement de la population ce qui m’a permis de prendre conscience que la société n’était pas du tout prête face à l’ampleur de l’enjeu. En France on a un très bon système de santé mais on est vraiment perfectibles dans le bien vieillir.

De quelle manière vous êtes-vous emparé de cette thématique ?

En 2016 j’ai proposé une conférence sur l’isolement des personnes âgées à la Ville de Lyon qui a accepté. J’ai ensuite eu envie d’aller plus loin et j’ai monté une association pour accompagner les personnes âgées en situation de rupture, notamment celles qui ont perdu un proche avec un accompagnement de six mois à neuf mois pour les aider à remonter la pente et les soutenir dans leur processus de deuil. Sauf que dans les faits, il était très compliqué de toucher ce public et que même quand on y parvenait, le fait de se faire accompagner par une personne inconnue n’était pas toujours bien accepté. Nous avons donc fait évoluer l’idée et en se disant qu’il fallait au préalable créer la rencontre pour que l’accompagnement soit mieux accepté. C’est là qu’en 2019 est née l’idée de créer des communautés de quartier où chacun a un rôle à jouer. Cela a donné  naissance aux cafés Daddy avec une première ouverture d’un café dans le quartier de la Croix-Rousse en octobre 2020. C’est un café qui fonctionne avec des salariés et des bénévoles sur un principe d’adhésion qui permet de payer une partie des consommations à prix libre, les autres ont un prix fixe. Il est également possible d’acheter un pass mensuel qui comprend la participation aux différentes activités. Un café à également ouvert à Perrache fin 2021.

L’idée est d’ouvrir d’autres cafés ?

Oui, notamment sur le département du Rhône. Si on veut lutter durablement contre l’isolement, il faut aller dans chaque quartier, dans chaque village. Chaque Français doit pouvoir avoir accès à une seconde famille dans un lieu où il se sent comme chez lui.

Il faut que ce soit un lieu qui parle à tout le monde

Il faut que ce soit un lieu qui parle à tout le monde, sans connotation trop sociale. C’est pourquoi le concept de Chez Daddy repose sur quatre piliers : la rencontre intergénérationnelle, la convivialité, la transmission avec 60 à 80 activités proposées chaque mois par les habitants du quartiers et à 75% par des personnes de plus de 60 ans, et l’entraide. Mais les modèles peuvent être un peu différents. Chez Daddy Croix-Rousse se situe au rez-de-chaussée d’un habitat inclusif géré par Lyon Métropole Habitat dont les 25 locataires ont un accès illimité au café. Le public est autonome. À Perrache, le café est installé dans une résidence autonomie, il propose également de la restauration et se charge de celle des résidents avec des produits locaux pour maintenir chez eux le plaisir de manger. Le public est un peu plus dépendant. Là notre enjeu est d’ouvrir plus fortement le café sur le quartier. C’est d’ailleurs une réflexion pour tous les prochains cafés Chez Daddy qui pourraient s’ouvrir.

Quels sont les enseignements de ces premières années d’exercice ?

Nous sommes encore dans une phase d’innovation et de test.

Nous sommes encore dans une phase d’innovation et de test

Le modèle reste fragile économiquement et doit être affiné. C’est un peu ma désillusion car je pensais que nous allions pouvoir fonctionner comme pour un café classique sauf qu’en mettant l’accent sur le social, c’est dur. Après c’est un vrai succès sur le volet création de communauté. La dimension de seconde famille fonctionne et est très forte. Pour la suite, mon rêve serait de développer un modèle avec des salariés présents sur les temps de grosses fréquentations, économiquement plus rentables, et consacrer le reste du temps à quelque chose un peu « comme à la maison » avec de l’auto service mais où les personnes du quartier peuvent se retrouver. L’idée peut aussi être de conserver une agence d’aide à domicile adossée au café. Nous voulons également développer ce que nous avons initié avec le cyclo-pousse. L’idée est d’aller chercher des personnes âgées chez elles à vélo pour les véhiculer jusqu’au café ou ailleurs. Car la solitude forcée chez soi, il n’y a rien de pire pour le moral et la santé physique. Nous accompagnons des pouvoirs publics, des bailleurs sociaux, des Ehpad, des résidences spécialisées à réfléchir à leur stratégie pour créer des sites dédiés ou des lieux, des lieux de rencontre intergénérationnels. Il y a de belles choses à inventer.

A relire :
Bernard Devert : « L’entrepreneur est un soignant de la cohésion sociale »
MonSenior : « Les Ehpad ne sont pas un passage obligé pour les personnes âgées »

Philippe Albanel, fondateur des cafés intergénérationnels Chez Daddy
Philippe Albanel
Fondateur du groupe Daddy

Logo des cafés intergénérationnels Chez Daddy