Jean François Zobrist a dirigé pendant près de 30 ans, et ce jusqu’à sa retraite, Favi une usine de fonderie en Picardie à Hallencourt. A sa tête, Zobrist a progressivement mis en place un nouveau modèle d’entreprise reposant sur le principe qu’il ne peut y avoir de performance sans bonheur, et que pour être heureux, il faut avoir la liberté de s’auto-organiser…
Comment êtes-vous arrivé à la tête de FAVI ?
En arrivant chez FAVI, j’ai eu une opportunité incroyable, celle de travailler pour Max Rousseau. Un patron qui disait toujours qu’il jugeait les hommes et non leurs idées. Par chance, les circonstances ont fait qu’il a eu l’occasion de me juger. J’avais 23 ans. Et à partir de ce moment-là, s’est instaurée entre nous une véritable relation de confiance. Un jour, en 1983, alors que je ne m’y attendais pas le moins du monde, il m’a confié les rênes de son entreprise. Je n’ai pas eu l’opportunité de réfléchir à ce que j’allais faire… Je n’avais pas de plan stratégique, j’ai fait en allant comme on dit en Picardie.
Alors, comment se sont passés les premiers mois ?
J’ai eu 4 mois de passation avec l’ancien directeur. Je connaissais un peu l’usine, mais je ne connaissais absolument pas les ouvriers, l’usinage, la fonderie… Alors j’ai observé. Pendant 4 mois, j’ai observé les gens, les process, les machines… J’ai tourné dans l’usine en permanence. Et j’ai pu constater quelques incohérences…
Par exemple ?
Des réunions interminables, qui ne débouchaient sur rien. Des sanctions contre des retardataires qui, bien sûr, ne faisaient pas exprès d’arriver en retard. Un jour, alors qu’il faisait un temps estival, j’ai même vu un fondeur fermer les fenêtres de l’usine. Quand je l’ai interrogé, il m’a répondu que sa prime était basée sur la température de la salle. Vous imaginez ? Il fallait arrêter ces absurdités.
Quelles ont été vos premières mesures en tant que dirigeant ?
Au mois d’août, quand l’ancien directeur est parti, j’ai tout de suite agi. J’avais remarqué que dans la société, il y a avait à peu près 40% des effectifs qui ne produisaient pas (comptables, chefs d’équipes, chefs de services…) et surtout que ces effectifs ne descendaient jamais dans l’usine. Alors j’ai pris le parti de réorganiser l’espace pour que l’ensemble des employés soit obligé de passer par l’usine et comprenne ainsi ce qui faisait marcher l’entreprise.
Puis j’ai complètement supprimé les réunions et toute forme de reporting. Je tiens ça de Max Rousseau. Le jour où je me suis présenté devant lui avec le seul et unique rapport écrit jamais rédigé de ma vie, il m’a fait cette remarque désarmante : « Je ne sais pas lire, raconte-moi ». Il avait raison car quand on écrit, on réfléchit, on cache la vérité ou on l’arrange selon ses besoins. A l’oral, on utilise moins d’artifices.
Quel est, selon vous, l’événement qui a ensuite joué le rôle de déclencheur de votre méthode de management dite « FAVI » ?
Je dirais que j’ai eu une réelle prise de conscience au moment où j’ai rencontré Eliane lors de l’une de mes tournées dans l’usine. Cette ouvrière travaillait depuis 3 ans au même poste, sur la même pièce. Quand je lui ai demandé si elle savait régler et contrôler sa machine, elle m’a répondu : « – Bien sûr ! » Pourtant, elle n’avait jamais pris cette initiative. Pourquoi ? Parce qu’il y avait un régleur, un contrôleur, un chef de service pour cela… Ça m’a paru alors évident. « – Mais si vous savez le faire, alors faites-le, dès à présent ! » Le régleur est repassé à l’outillage, le contrôleur au bureau d’études et le chef de service s’est adapté. Très vite, la production des pièces a augmenté de 20%. Mais plus que l’augmentation de la production, c’est un autre changement qui m’a intéressé, un changement plus profond… Les travailleurs avaient l’air plus épanouis. Voilà, comment tout a commencé.
Si vous deviez aujourd’hui définir, au vu de votre expérience chez FAVI, ce que doit être le rôle d’un dirigeant d’entreprise ?
Pour moi, être responsable au sein d’une entreprise, n’est justement pas de diriger mais de montrer les limites, montrer les étoiles…faire rêver ! Et comme Max Rousseau me l’a si bien appris, l’essentiel est de pousser chacun à aller de l’idée à l’action librement, à sa guise.