Cofondateur de la start-up Virgil, Keyvan Nilforoushan dirige depuis plus de 15 ans des entreprises innovantes comme onefinestay, rachetée par le groupe Accor, ou Nextstage, leader français du capital-développement. Il lance Virgil en 2019 aux côtés de Saskia Fiszel, pour venir en aide aux jeunes actifs qui souhaitent devenir propriétaires. Il partage aujourd’hui pour Valeurs d’entrepreneurs sa passion pour l’entrepreneuriat à impact.
Vous avez créé en 2019 la start-up Virgil pour aider les jeunes dans leur premier investissement immobilier. Comment vous est venue cette idée ?
Avec Saskia Fiszel, mon associée, nous avons fait un constat accablant : la plupart des jeunes actifs qui deviennent aujourd’hui propriétaires dans les grandes villes le font avec l’aide de leurs parents. En commençant avec les mêmes études et le même salaire, 15 ans plus tard, certains auront remboursé une grosse partie de leur prêt et commencé à constituer un patrimoine, tandis que sans apport familial, les autres resteront enfermés dans le piège locatif. Plus le temps passe, plus les besoins augmentent (conjoint, enfants, projets de vie, …) et plus il devient difficile de rattraper ce retard. Nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire pour améliorer la situation.
Mon associée et moi sommes tous deux issus de famille de réfugiés. Nous connaissons tous les deux la situation où les compteurs sont remis à zéro – c’est le propre des réfugiés qui partent les mains vides ! – mais nos parents nous ont transmis un savoir-faire et une éducation sur les questions financières qui nous ont servis toute notre vie. C’est une chance, et nous avons voulu la partager en créant, dès les premiers jours de Virgil, Spoune, un média d’éducation financière.
Quelle a été votre motivation principale pour créer Virgil et pour la diriger aujourd’hui ?
Les options professionnelles qui se présentent aux jeunes diplômés sont souvent toutes insatisfaisantes. Certains gaspillent leur énergie pour de grands cabinets de conseil, où le niveau d’exigence est élevé mais leur temps est mis au service de situations indéfendables comme améliorer la vente d’opiacées. D’autres choisissent de s’engager dans des ONG, où le niveau d’exigence n’est pas toujours au rendez-vous car la plupart des collaborateurs sont bénévoles…
Notre conviction, c’est que l’on peut créer une troisième voie, une entreprise à but lucratif qui intègre une dimension sociale. On peut construire une entreprise très exigeante avec des salariés motivés et ambitieux tout en la mettant au service du bien commun. Cela correspond aux attentes des nouvelles générations.
On peut construire une entreprise très exigeante avec des salariés motivés et ambitieux tout en la mettant au service du bien commun.
L’entreprise à mission est pour moi aussi une manière de faire revivre le capitalisme à l’ancienne, quand le dirigeant était très implanté dans le tissu industriel local et ses préoccupations ne se limitaient pas à maximiser un résultat financier. L’entreprise contemporaine est à mon sens résolument tournée vers la satisfaction de toutes les parties prenantes.
Quel est le profil des jeunes accompagnés par Virgil ? Comment créez-vous un climat de confiance avec vos clients ?
Ils sont en général en début de carrière, avec un âge moyen de 32 ans. Leur point commun est sans doute qu’ils ont tous une dimension “smart et innovante”. Ils ont tous fait un pas de plus que les autres pour aller chercher une solution à leur problème !
Acheter un appartement avec Virgil, c’est un parcours de 5 à 7 mois pour signer son acte de vente, puis jusqu’à 10 ans de vie commune ! Une forte relation de confiance est donc nécessaire dès le début. Nous faisons de la confiance avec nos clients un atout central. Nous n’hésitons pas à partager les informations à notre disposition, même négatives, au contraire du monde de l’immobilier où l’on se heurte souvent à une vraie complexité.
Nous prenons également en charge les relations avec la banque qui délivrera le prêt immobilier. C’est nous qui présentons le dossier de l’acquéreur, après l’avoir audité et nous être assurés de sa solvabilité. Nous avons des intérêts alignés avec le client, et les banques le savent, ce qui explique notre taux d’acceptation de dossier dépassant les 90%.
Quels sont vos projets de développement pour les prochaines années ?
Nous nous déployons hors de Paris, à Lyon, Lille, Bordeaux et Marseille. Notre extension nationale constitue la partie la plus naturelle de notre développement, partout où le marché est tendu et où l’immobilier n’est plus accessible aux jeunes actifs. Cela va de pair avec une situation de marché spécifique au contexte actuel : les taux sont sensiblement plus élevés et rendent l’accès à la propriété plus difficile qu’il ne l’était jusqu’ici. Cette augmentation des taux, paradoxalement, nous ouvre d’autres marchés sur lesquels notre aide était moins nécessaire hier.
A chaque fois, les configurations sont différentes et il n’est pas question de reproduire le modèle parisien. Nous développons un ancrage local, tant de partenaires que de connaissance du terrain.
Notre objectif n’est pas non plus de pousser notre solution à tous vents. Dans certains cas, l’achat de la résidence principale n’est pas toujours la bonne solution : projet de mutation à l’étranger, d’agrandissement de la famille… Nous sommes très attentifs aux besoins des accédants. Quelles sont les attentes des jeunes ? Une autre idée de développement porte sur l’accompagnement du parc immobilier de type « passoire thermique » : comment le transformer ? Selon quel modèle ?
Autant de questions pour perfectionner notre solution. Mais notre mission sera toujours celle d’accompagner l’accès à la propriété.
Quelle est votre vision entrepreneuriale du management ? Comment créer de l’engagement chez vos collaborateurs ?
J’ai commencé comme dirigeant d’une entreprise financière, avec une culture du management très différente de celle qui est la mienne aujourd’hui. Le Centre des Jeunes Dirigeants où je suis entré en 2009 a fortement fait évoluer mon point de vue. Nous débattions sur des questions sensibles, comme par exemple : “De quoi es-tu le chef ?”, “Que veut dire diriger ?”, “Dirigeant, est-ce un métier ?”.
Ma conviction, c’est que personne ne se lève le matin en se disant : “J’ai envie aujourd’hui de faire un mauvais travail”. Simplement, l’environnement de l’entreprise peut rendre plus ou moins facile le fait de donner le meilleur de soi-même.
Ce qui est clef dans le dépassement, c’est d’être responsable de ces sujets. Mais cela ne vient pas tout seul. Je veille donc à aligner les sujets dont chacun est responsable avec ceux sur lesquels il exerce un contrôle, sur lesquels il a des informations, pour lui donner l’opportunité d’agir au mieux. Pour que tout cela fonctionne, il faut beaucoup de transparence dans l’entreprise, que l’on parle et que l’on communique beaucoup.
Un signe qui ne trompe pas : les membres de l’équipe, s’ils se cassent les dents à l’extérieur de l’entreprise, ne doivent rencontrer aucune difficulté à l’intérieur de l’entreprise. Cette évidence ne l’est pas tant : j’ai connu des entreprises où il était plus facile de faire passer des idées auprès d’un client à l’extérieur qu’auprès de ses collègues ou de sa hiérarchie !
J’ai connu des entreprises où il était plus facile de faire passer des idées auprès d’un client à l’extérieur qu’auprès de ses collègues ou de sa hiérarchie !
Je peux accepter qu’un client me ferme la porte au nez car il ne veut pas de mon produit, mais pas de mal dormir parce qu’une partie de l’équipe n’a pas accepté un projet de l’entreprise.
Nous défendons des valeurs d’entreprise autour de l’ownership [1], nous sommes des « hérésiarques » en ce sens que nous cherchons toujours à trouver la meilleure manière de faire, y compris si elle sort des habitudes.
Ce système peut ne pas convenir à des collaborateurs qui ont passé 10 ou 15 ans dans certaines grandes structures, il faut s’assurer qu’ils sont conscients en nous rejoignant de tout ce qui sera différent dans une start-up.
Quelles sont vos recommandations pour les jeunes qui veulent se lancer dans cette aventure ?
Beaucoup de jeunes souhaitent créer leur propre entreprise. Et je le souhaite pour eux. Mon premier conseil est de choisir ses premières expériences professionnelles en fonction de ce qu’on souhaite y apprendre plutôt que sur des critères de rémunération. La trajectoire que l’on trace au début de son parcours peut tout changer. L’entourage que l’on va rencontrer sera aussi peut être celui qui investira dans votre entreprise ou sera votre partenaire de demain. Mon deuxième conseil est de bien s’entourer : choisissez les personnes avec lesquelles vous montez votre projet pour ne pas vous retrouver dans une situation où vous avez tout à apprendre, dans des conditions difficiles. C’est bien de se lancer aux côtés de quelqu’un qui sait faire et réfléchir de manière structurée. Tout le monde ne sait pas écrire un texte, construire un raisonnement, développer une idée. Dans certaines start-ups, ces compétences manquent cruellement. Pour conclure, je n’investis jamais dans le projet de quelqu’un que je ne connais pas. Et je suis toujours fier de pouvoir investir dans des projets qui ont du sens pour moi.
[1] Cultiver l’ownership consiste à créer les conditions pour que chacun.e s’approprie pleinement son travail, ses efforts, ses projets, ses résultats et donc son entreprise…Chacun prend naturellement plus soin de ce qui lui appartient.
A relire :
Philippe Albanel : « Chaque Français doit pouvoir avoir accès à une seconde famille »
Laurent de la Clergerie : « Chacun sait vers quoi doit tendre l’entreprise »