Après l’avoir relancée en 2009, Emery Jacquillat a engagé la Camif, en 2013, sur le chemin de l’entreprise à mission. En cohérence avec ce positionnement, cet entrepreneur, président de la Communauté des Entreprises à Mission, a impulsé le choix de supprimer du catalogue Camif tous les produits fabriqués hors de l’Union européenne. Une décision sur laquelle nous avons eu envie d’en savoir plus. Rencontre avec ce dirigeant engagé, qui a reçu en 2021 le BFM Award de la Raison d’être.

Pourquoi cette décision de retirer du catalogue Camif les produits non fabriqués dans l’Union européenne ?

Cette décision est cohérente avec le choix fait dès 2009, au moment de relancer la Camif, de miser sur le durable et la fabrication locale. À l’époque, le Made in France n’était pas à la mode mais cela était cohérent avec les valeurs de la marque créée en 1947 par des instituteurs qui avaient une sensibilité écologique. J’avais l’intuition que les consommateurs finiraient par se tourner vers de la consommation locale. Ce choix nous a également permis d’avoir un impact positif pour les fabricants français. Nous avons valorisé leur savoir-faire en affichant de manière transparente la provenance des produits afin que les internautes puissent choisir en connaissance de cause. Le bénéfice complémentaire a été de limiter l’empreinte écologique des produits. Quand on fabrique un canapé en France, cela génère huit fois moins d’émissions de gaz à effet de serre que s’il l’est en Chine. Cela n’est pas uniquement dû au transport, mais aussi à l’énergie utilisée pour produire sur place.

Quelle était la part de risque dans cette décision ?

La crise Covid nous a mis du vent dans les voiles en incitant les consommateurs à commander plus sur internet et à choisir des produits plus responsables. C’était le bon moment pour faire ce choix de renoncer à 7,4% de notre catalogue, ce qui n’est pas anecdotique. Cela implique par exemple pour la Camif de ne plus proposer un produit comme le four à micro-ondes car il n’y a pas de fabrication dans l’Union européenne ainsi que certains mobiliers de jardin.

Aujourd’hui, 97% de notre mobilier de jardin est produit en France !

Sur le moyen long terme, cette décision permet d‘aligner l’entreprise avec sa mission et de proposer une marque claire et lisible aux clients comme aux collaborateurs.

Est-ce que cette décision a été bien accueillie par les équipes ?

Il y a bien sûr eu des craintes, mais nous avions déjà eu l’expérience Black Friday. En 2017, nous avons cessé d’y participer. Cela a été dur au début mais ensuite la marque a fortement progressé et la clientèle s’est renouvelée avec des jeunes engagés et sensibles à ce qu’ils achètent, aussi bien en termes de conditions sociales qu’environnementales. Il faut remettre du temps long dans la réflexion. Je dis souvent aux équipes : « Vous êtes comme des exploitants forestiers qui doivent gérer leur forêt. Il est parfois nécessaire de couper de gros arbres pour laisser entrer la lumière et faire grandir les jeunes pousses. »
Par exemple, depuis 2017 nous développons notre propre marque, Camif Édition, basée sur de l’économie circulaire, qui est un de nos engagements de mission. Nous avons de cette manière conçu le premier matelas français entièrement fabriqué avec des matelas recyclés. Cela a nécessité quatre ans de travail. Nous avons mené ce projet avec une startup qui recycle des matelas en Ardèche, un centre d’essai de l’ameublement, un éco-organisme, un fabricant de matelas. L’économie circulaire est un levier d’innovation, d’engagement et de performance.

Elle est un moyen de soutenir l’innovation dans la filière ?

Oui. Pour développer l’économie circulaire, nous ne pouvions pas attendre que la filière s’y mette toute seule. Nous ne pouvions plus être suiveurs, nous devions être acteurs. C’est pourquoi nous avons fait un Camifathon innovation durable en 2017. Pendant trois jours nous avons réuni des fabricants, des consommateurs, des designers et des collaborateurs. L’idée était d’accompagner les projets qui allaient émerger et c’est là qu’est né le matelas issu de matelas recyclés. L’approche collective a mis tout le monde en mouvement. Au sein de notre Comité de Mission intervient la déléguée générale de l’ameublement français et c’est très enrichissant car elle nourrit la réflexion avec les valeurs et enjeux de la filière. Pour définir la raison d’être, nous avions également fait beaucoup d’interviews avec des fournisseurs. Nous les rencontrons avec des consommateurs et des collaborateurs qui passent des journées complètes avec eux. C’est une manière d’embarquer la filière.

Quelle est la place de l’échec dans cette dynamique ?

Il y a eu plein d’échecs ! C’est la succession des échecs qui fait que l’on parvient à trouver des solutions. Par exemple, nous avons fait des produits très beaux, en « upcycling », fabriqués localement mais qui n’ont pas marché car ils étaient trop chers. Il faut parvenir à trouver le bon équilibre.

Ce qui est important, c’est d’apprendre et de persévérer.

Il n’est pas facile de changer les choses. Une difficulté a notamment été d’embarquer les équipes au départ. J’étais face à des salariés qui avaient 20 ans de Camif derrière eux avec une approche très pyramidale. Moi je suis un entrepreneur, je travaille en mode projet en appliquant une structure plate et en mettant tout le monde dans un open space. J’ai cru que cela allait se faire tout seul, et bien pas du tout. L’esprit entrepreneurial n’allait pas se développer comme ça, il fallait changer la culture de l’entreprise. Cela demande du temps et du vivre ensemble. J’ai fait intervenir une artiste, Anne-Laure Maison, qui a partagé notre quotidien pendant trois mois : elle a souligné l’importance de l’humain, des vrais échanges, de la création de lien et m’a fait beaucoup progresser dans mon rôle de manager. Quand je dois impulser un changement, je prends les personnes les plus réfractaires et j’expérimente avec eux. On essaie et on a le droit de se tromper.

Que pensez-vous du développement de la RSE au sein des entreprises françaises ?

Je pense que la RSE n’est pas suffisante. L’entreprise est le plus puissant moteur de transformation de la société, mais il y a urgence à la transformer de l’intérieur et pas uniquement en périphérie, ce que l’on peut reprocher à la RSE. Leur modèle économique doit être adapté à un modèle de sobriété, en augmentant notamment la durée de vie des produits et en permettant leur réutilisation. C’est très nourrissant de penser à la contribution positive de l’entreprise dans la société et c’est pour ça qu’en 2018 j’ai cofondé la Communauté des Entreprises à Mission pour pousser dans la loi Pacte le modèle d’entreprise à mission. Je suis convaincu que seules les entreprises capables d’apporter la preuve de leur utilité à la société seront encore présentes à la fin du siècle.

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photo d'Emery Jacquillat
Emery Jacquillat
Président Directeur-Général
Société à mission
CAMIF
Date de création
1947
Activité
Aménagement de la maison

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