Fondateur d’Elise Lyon, pionnier de la gestion et du recyclage de tous les déchets de bureaux, Gaétan Lepoutre est aussi cofondateur et directeur associé des Alchimistes Lyon, entreprise de collecte et de compostage de déchets alimentaires de la restauration. Il partage pour Valeurs d’entrepreneurs ses convictions d’entrepreneur au service de l’environnement et de la société.
Vous êtes fondateur d’Elise Lyon, une entreprise adaptée, spécialisée dans le recyclage des déchets de bureaux. Comment s’organise Elise et quel est votre rôle dans son développement ?
A la sortie de mes études d’ingénieur, je voulais m’installer à Lyon et intégrer une dimension environnementale à ma vie professionnelle. Je cherchais un emploi salarié à Lyon dans ce secteur, mais je n’ai rien trouvé. J’ai rencontré, lors d’une conférence, l’un des cofondateurs d’Élise. À l’époque, Élise n’était présente qu’à Lille. Leur projet était axé sur l’utilité environnementale et sociale, avec la création d’emplois pour des personnes éloignées de l’emploi. C’était le bon moment, car ils venaient de décider de créer un réseau national et recherchaient des entrepreneurs dans les grandes villes de France. Élise Lyon est une structure franchisée. J’ai établi une SARL locale en 2010 Je suis devenu l’un des premiers franchisés d’Élise, aujourd’hui implantée dans 46 villes en France. Nous formons l’un des premiers réseaux de l’économie sociale et solidaire. J’ai commencé à proposer aux entreprises du bassin lyonnais le tri et la collecte de leurs déchets de bureaux en 2011. Nous avons développé rapidement l’entreprise, en embauchant notamment des personnes en situation de handicap. Aujourd’hui, je transmets cette structure au franchiseur, ce qui assure la continuité du projet pour près de 100 employés. Je ne suis donc plus le dirigeant aujourd’hui mais j’apporte toujours ma contribution pour une période d’accompagnement à la transition pour quelques mois. Nous avons une belle structure avec de belles histoires sur le retour à l’emploi. Et au-delà de l’emploi, l’entreprise intègre toute une dimension sociale, une fierté à travailler et à bien faire son travail, ainsi que la satisfaction de servir les clients et de prendre des responsabilités. Nous travaillons avec des personnes aux situations variées sur le plan social ou de la santé. C’est ce qui me rend le plus fier aujourd’hui. Et bien sûr, il y a notre cœur de métier, le recyclage, une démarche vertueuse. Mais avec le temps, cela est passé au second plan pour moi.
Vous vous êtes également intéressé avant les autres au compostage alimentaire. Comment vous est venue l’idée de ce projet ? Et quel est le modèle économique de l’entreprise ?
Mon ami Vincent Dujardin, ingénieur à l’époque chez Veolia, m’a sollicité pour participer à un projet de compostage. J’avais très envie d’engager une nouvelle aventure entrepreneuriale avec un ami. Surtout pour imaginer un procédé “du traitement à l’évitement des déchets”. De plus, dans le quartier de Villeurbanne où est implantée Élise Lyon démarrait un projet appelé “Territoire Zéro Chômeur”. Comme j’étais implanté en tant qu’entrepreneur social, j’ai trouvé cette utopie assez merveilleuse. Comment pouvais-je y contribuer ? En créant de l’activité pour soutenir l’emploi. Mon homologue, dirigeant d’Élise Bordeaux, avait lancé une initiative appelée “Les Détritivores”, consistant à collecter et composter des déchets alimentaires, une démarche qui n’existait pas à Lyon. Les déchets alimentaires non compostés sont une catastrophe économique et écologique. Vincent a quitté son poste chez Veolia et, en avril 2018, nous avons établi les statuts de cette nouvelle activité. Notre stratégie industrielle s’est renforcée en nous inspirant des Alchimistes, implantés alors en Ile-de-France, avec lesquels nous avons choisi de fusionner : nous rejoignions ainsi un réseau de savoir-faire et une ambition d’équipes complémentaires. Notre structure locale, portée par ses actionnaires locaux, est devenue une filiale des Alchimistes France, dans laquelle nous avons pris des parts. Les Alchimistes sont maintenant présents dans 22 agglomérations en France.
Notre ambition : “ensemble, composter et nourrir les sols”.
Parce que nous prenons conscience que 40 % des sols dans le monde sont dégradés. Une situation préoccupante mais nous savons comment redonner vie aux sols dégradés. Nous avons choisi de le faire à travers le compostage, et nous avons décidé de le faire ensemble, car nous pensons que le sujet est bien trop vaste et important pour que nous le traitions seuls. Nous voulons donc le faire avec les habitants, les collectivités, les entreprises, les associations, et nos pairs, afin de créer une dynamique de sensibilisation à l’importance des sols, mais aussi plus spécifiquement du tri et du compostage des déchets alimentaires. Gaspard König en parle très bien dans son dernier ouvrage, “Humus” (éditions de l’Observatoire, 2023).
Notre modèle économique est un classique du secteur : Le producteur d’un déchet en est responsable jusqu’à son élimination finale. Cela inclut les restaurants, les cantines d’entreprise, les cantines scolaires, les hôpitaux, les établissements de santé, les hôtels, et les distributeurs alimentaires. Ces producteurs de déchets sont responsables de l’organisation du tri et doivent identifier un prestataire qui va collecter et traiter les déchets conformément aux normes. Nous leur proposons ce service : accompagnement à la mise en place du tri, sensibilisation des professionnels et des convives, collecte, transformation en compost et retour du compost s’ils en ont besoin pour leurs espaces verts, par exemple. Ce sont des services payants. Nous vendons des services aux entreprises ou aux collectivités autour du tri et du compostage. La vente de compost représente aujourd’hui moins de 5% de notre chiffre d’affaires.
Les déchets sont au cœur de l’économie circulaire. En quoi le modèle des Alchimistes ou d’Elise innovent-elles sur le plan technique et social ?
Sur le marché du déchet, les gros volumes sont généralement bien traités, mais ce n’est pas toujours le cas pour les gisements diffus, qui représentent des volumes plus modestes. Il fallait donc réussir à proposer un service adapté à ce type de gisement, une démarche novatrice à l’époque où nous nous sommes lancés, avec Élise pour les déchets de bureaux ou avec Les Alchimistes pour les déchets alimentaires. Cela suppose d’organiser des collectes urbaines très bien planifiées et efficaces. Dans les deux cas, nous avons proposé un service en racontant une histoire qui dépasse la simple collecte des déchets. Nous avons donné du sens à notre démarche, en mettant en avant des valeurs de justices sociale et environnementale. Bien sûr, collecter les déchets de bureaux ne va pas sauver le monde à lui seul, mais cela peut servir de levier pour sensibiliser les entreprises à des enjeux plus larges, comme la réduction des déchets à la source. C’est un sujet fédérateur avec un potentiel pour encourager les entreprises à adopter des pratiques plus écologiques et aller plus loin : semer les graines d’une réflexion théorique, puis les cultiver par des actions pratiques. Cela pourrait ouvrir la voie à de nouvelles opportunités pour élargir votre impact. Nous ne sommes pas seulement une entreprise de collecte et de traitement des déchets ; nous cherchons aussi à sensibiliser et à mobiliser les gens autour de l’importance des sols et de la santé environnementale. Le sujet des sols est crucial car il touche à de nombreux aspects de l’écologie, de la biodiversité, du climat et de l’agriculture. Et il concerne tout le monde de manière directe puisque nous produisons tous des déchets alimentaires qui peuvent être transformés en compost pour nourrir les sols. Cette démarche suscite un vrai engouement et nous cherchons à l’utiliser pour créer un mouvement plus large autour de l’économie circulaire et de la protection de l’environnement.
Même si nous sommes avant tout des acteurs industriels, nous aspirons à jouer un rôle dans la sensibilisation et l’éducation du public sur ces questions.
Quel profil de manager êtes-vous ? Quel est selon vous le rôle de l’entreprise dans la société contemporaine ?
Je suis devenu un manager axé sur le sens, car j’ai investi et j’investis beaucoup de convictions dans mes projets. Au début, je cherchais à rassembler des individus partageant les mêmes convictions. Désormais, je trouve que c’est encore plus enrichissant lorsqu’ils ne les ont pas initialement, mais les adoptent progressivement en nous rejoignant. Pour ma part, j’ai surtout partagé ma passion. Ensuite, j’espère que des individus compétents organiseront les choses pour que nous avancions dans cette direction. Je ne suis pas très organisateur ni directif. J’invite les autres à se joindre à moi sur un projet, et ce que j’apprécie particulièrement, c’est que l’objectif du projet soit clair dès le départ. Ensuite, je suis convaincu que si j’ai bien mené mes recrutements et si l’objectif est effectivement clair, nous mettrons le projet en marche dans cette direction.
L’action entrepreneuriale peut être un puissant moteur de changement et de progrès dans la société.
En créant des entreprises comme les nôtres, je veux avoir un impact concret et tangible sur les problèmes environnementaux et sociaux, tout en proposant des solutions innovantes et durables. Je crois fermement au pouvoir de l’entreprise pour influencer positivement la société et l’environnement. C’est pourquoi j’ai choisi cette voie plutôt que de rejoindre une ONG ou une organisation de plaidoyer. Chaque acteur, entrepreneur, citoyen ou gouvernement, a un rôle à jouer dans la construction d’un avenir meilleur, et j’ai décidé d’apporter ma contribution à travers l’entrepreneuriat. Pourquoi sommes-nous sur terre, si ce n’est pour laisser un monde meilleur derrière nous lorsque nous partons ? Je pense que chacun devrait avoir ce projet en tête, y compris les entreprises. Elles sont là pour servir un projet collectif ou individuel, et si tous les individus ont pour projet d’améliorer le monde, alors les entreprises devraient également s’inscrire dans cette démarche. Une entreprise doit avoir un sens, une utilité. Lorsque nous avons décidé de travailler sur nos valeurs, et plus particulièrement sur notre mission chez Elise Lyon, nous avons décidé d’être utiles à nos clients, à l’écologie et à la société. Cet engagement guide nos choix quotidiens. C’est un projet qui me convient, et je m’y attache.
Quelles sont vos projets pour demain ? Et quelle est votre vision pour l’avenir des déchets ?
Digérer cette transition ! Cela me permettra d’avoir un peu plus de temps et de disponibilité mentale. Prendre du temps pour moi, avec mes proches, pour ralentir un peu. Je me questionne sur ce besoin constant de toujours aller plus vite, de toujours développer. Je souhaite expérimenter l’idée de ralentir. Cela ne m’empêche pas de continuer à travailler avec les Alchimistes, où je suis occupé quatre jours par semaine. Nous avons beaucoup de travail pour continuer à accompagner nos clients, les collectivités et les entreprises dans le déploiement du tri des déchets. Nous en sommes encore au début, il y a beaucoup à faire. À l’échelle mondiale, près d’un tiers des produits alimentaires sont gaspillés. Selon les pays, ce gaspillage se situe au niveau de la production, de la transformation ou de la consommation. Cela signifie qu’environ un tiers des terres agricoles, un tiers des ressources utilisées pour le transport, un tiers des ressources des industries sont gaspillées. Par contrainte ou par choix volontaire, la société va tendre vers une réduction du gaspillage et donc des déchets. Actuellement, il y a encore tant de déchets à valoriser, très mal gérés, que nous avons encore beaucoup de marges de développement. Dans nos efforts de sensibilisation au tri, nous soulignons toujours l’importance de réduire le gaspillage. Chez les Alchimistes, nous avons développé une forte expertise dans la mesure des quantités de déchets produites : mesurer est souvent le premier pas vers la réduction.
Lorsque nous mesurons le poids des déchets, nous pouvons ensuite agir pour réduire le gaspillage.
Les premières mesures, voire les simples observations, dans les structures qui commencent à trier, sont souvent révélatrices. Les gens se rendent soudain compte de l’ampleur du gaspillage et se fixent des objectifs pour le réduire. C’est un processus stimulant et motivant.
A relire :
Simon Bernard : La low-tech au service du recyclage
Mehdi Coly : Il va falloir attaquer très vite