Entrepreneur, conférencier et coach, Romain Cristofini a introduit en France les premiers séminaires retraites pour chefs d’entreprise avec Monasterra. S’appuyant sur cette expérience, il a publié en mai 2019 « L’intelligence spirituelle au cœur du leadership » pour aider les dirigeants à redonner du sens à leurs actions et lancé la communauté des Leaders Eclairés. Rencontre pour Valeurs d’entrepreneurs.

Valeurs d’entrepreneurs : Comment faire le lien entre intelligence spirituelle et entreprise ?

Romain Cristofini : L’acte même d’entreprendre est un acte spirituel. La notion d’intelligence spirituelle existe donc depuis toujours. Les entrepreneurs, un peu comme les artistes ou les chercheurs, sont au départ des personnes qui écoutent une envie, un élan intérieur, qui sont aussi attentifs aux besoins du monde. Ce sont des individus capables de faire passer des choses du domaine de l’invisible, l’idée, le désir… au visible. De concrétiser ce qu’ils ont dans le cœur. Il y a donc quelque chose d’éminemment spirituel dans le fait d’entreprendre car un entrepreneur engage en fait sa vie en se mettant au centre du projet.

La voie de l’entrepreneuriat est en soi une voie initiatique.

Cette dimension spirituelle de l’entrepreneuriat et des dirigeants est-elle encore d’actualité au XXIe siècle ?

Elle a eu tendance à disparaître au XXème siècle avec les excès du système capitaliste et sa promesse implicite de devenir (très) riche. Cette évolution a fortement développé la dimension matérialiste. Je pense que l’évolution du capitalisme et des organisations des entreprises ont ainsi contribué à formater les individus. Le système éducatif invite lui aussi à essayer de trouver sa place dans le monde du travail, à se rassurer et donc à adopter des compétences plutôt que d’écouter ses envies ou ses projets de vie. Pendant très longtemps, les écoles d’ingénieurs ou de management ne formaient quasiment pas d’entrepreneurs. Cette dimension de l’élan intérieur, de l’élan existentiel, pour utiliser d’autres termes que l’intelligence spirituelle, a été, je crois, largement éteinte, notamment par des phénomènes de peur. La logique d’adaptation et d’insertion dans la société a donc largement prévalu sur la logique de réalisation de soi.

Cette intelligence spirituelle a-t-elle été remplacée par l’ego ?

Notre société valorise énormément cette petite part de nous, l’ego, ce « petit moi ». Et par méconnaissance du mécanisme de l’ego, beaucoup d’entrepreneurs et dirigeants d’entreprises sont happés par des quêtes qui ne correspondent pas à des désirs de l’être, mais bien souvent à des désirs de reconnaissance sociale, de pouvoir ou d’accumulation de richesses et de biens matériels. À cet égard, l’ego a contribué à étouffer la dimension existentielle car il consomme une grande partie de l’attention et de l’énergie disponibles. Quand vous voulez faire fortune, vous êtes inconsciemment détourné de vous-même, détourné de l’élan créateur qui est celui, au départ, de l’entrepreneur.

Nous sommes aujourd’hui souvent invités à nous recentrer, à penser à nous, à notre bien-être, à méditer…

Il est intéressant de distinguer ce qui relève du développement de soi d’une démarche spirituelle. Il ne faut pas opposer les deux, mais plutôt voir de quelle manière ces démarches se complètent et dans quelle mesure on peut rester bloqué au premier étage du développement de soi.
Car il y a deux étapes. La première est l’individuation (terme empruntée au psychanalyste Carl Jung). Elle consiste à prendre conscience de nos conditionnements sociaux, des masques que l’on a pu endosser, des chemins erronés que l’on a pris. Ce sont souvent des chemins que nous avons empruntés pour être reconnus, être aimés, faire plaisir aux parents… ou tout simplement pour s’intégrer dans la société. L’individuation consiste à dire : « Je vais revenir à qui je suis vraiment, à mon être, à mon identité singulière. » C’est ce à quoi contribue le développement personnel.
Mais beaucoup commettent l’erreur de faire de cette étape une fin en soi, c’est-à-dire de penser que le chemin s’arrête là. Il peut y avoir quelque chose de très égotique à enchaîner les stages pour se connaitre et/ou s’améliorer. Là où il y a erreur et confusion, c’est que l’être humain n’a pas simplement vocation à se connaître.
Car nous avons – en tant qu’être humain – cette capacité à nous connecter à plus grand que nous. Dans la deuxième étape de notre développement spirituel, il est donc utile et salutaire d’aborder des questions comme : « Quelle est la cause que je veux servir ? Quel est le monde auquel j’aspire et que j’ai envie de créer ? ».
Si nous ne faisons pas cette démarche-là, nous restons conditionnés dans un modèle de performance et de société qui aujourd’hui nous épuise et détruit la planète.

L’intelligence spirituelle est-elle la solution ?

Pour relever le défi de notre époque, c’est-à-dire changer ce système devenu mortifère et aller vers une autre humanité, il va nous falloir mobiliser des ressources extrêmement puissantes pour nous libérer des conditionnements et aller dans l’inconnu !

Notre intelligence spirituelle – ou existentielle – constitue pour cela un combustible exceptionnel. C’est elle que l’on ressent chez les leaders les plus inspirants : alignés avec qui ils sont vraiment et leurs aspirations profondes, ils développent une sécurité ontologique extrêmement forte, semblable à celle que l’on rencontre chez les maîtres spirituels. Toute leur action est dédiée à une cause juste pour eux et pour le monde et ils semblent capables de déplacer des montagnes malgré toutes les résistances qu’ils rencontrent.

En résumé, il y a donc un premier mouvement de transformation de soi, pour ensuite transformer ce qui nous entoure. Cela renvoie à la phrase de Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde ». La grande erreur de notre époque serait de croire que l’on peut changer le monde avec des solutions ou des technologies, en faisant l’économie d’une véritable évolution de conscience.

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