Au début des années 90, David Kimelfeld, tout d’abord infirmier puis commercial, crée l’entreprise Tepmare spécialisée dans le transport maritime et aérien. Il deviendra quelques années plus tard Vice-Président puis Président de la Métropole de Lyon. Il explique pour Valeurs d’entrepreneurs les enseignements de son parcours et les liens que doivent tisser territoires et entrepreneurs.

Valeurs d’entrepreneurs : Créateur de Tepmare dans les années 1990, pourquoi avez-vous choisi de devenir entrepreneur ?

David Kimelfeld : Je suis devenu entrepreneur au gré des circonstances, mais j’ai toujours eu envie d’essayer des tas de choses, de tenter et de prendre des risques. J’ai commencé comme infirmier au service de réanimation de l’hôpital cardiologique de Bron avant de devenir commercial dans l’entreprise de transports maritimes du père d’un de mes amis. Je n’y connaissais rien, mais il ne voulait pas embaucher un gars formaté par une école de commerce. Après 5 ou 6 ans de salariat, la société a été vendue. Avec mon ami et un autre associé, nous avons décidé de créer notre propre boîte, Tepmare. L’entreprise a prospéré, ça a plutôt bien marché. Cette expérience a été déterminante dans mon parcours politique, notamment en tant que vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l’économie. 

Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?

Mon expérience à la tête d’une entreprise nourrit forcément mon travail en tant que Président de la Métropole, car je connais, pour l’avoir vécue, la réalité des chefs d’entreprises. Avoir moi-même exercé cette activité me permet de saisir avec plus d’exactitude les besoins et les attentes des entrepreneurs en matière de politiques économiques. Je comprends les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. J’ai donc une conscience aiguë de l’importance qu’il y a pour la Métropole à soutenir l’entrepreneuriat. Il faut non seulement aider les entreprises qui souhaitent s’implanter, mais aussi les soutenir dans leur développement et trouver des solutions aux problèmes qu’elles traversent.

Ce soutien aux entreprises est capital, car il est aussi celui à l’emploi sur notre territoire.

Dirige-t-on une grande collectivité comme comme la Métropole à la manière d’une entreprise ?

On ne peut pas comparer une PME, qui compte quelques dizaines de salariés, avec une collectivité de 9 000 agents, mais la gestion d’une métropole requiert également des compétences très larges, des connaissances dans de nombreux domaines. Celles dont je dispose en matière d’économie, de droit, de santé, ma capacité à travailler en équipe ou à gérer des situations d’urgence, m’ont beaucoup apporté et nourrissent encore ma façon d’exercer. Mais en réalité, je crois que l’essentiel d’un métier ou d’une fonction s’acquiert sur le tas. C’est comme cela que j’ai construit mon parcours.

Quel regard portez-vous sur l’entrepreneuriat aujourd’hui ?

L’entrepreneuriat a fait un bond considérable sur notre territoire. Avec plus de 23 000 créations d’entreprises en 2018 (contre 6 000 créations il y a encore une quinzaine d’années), jamais notre territoire n’a été aussi favorable pour ceux qui souhaitent entreprendre. Avec l’ensemble des partenaires économiques, nous avons su créer un écosystème solide : avec ses incubateurs, ses accélérateurs, ses salons et festivals dédiés à l’entrepreneuriat, ses écoles de commerces et ses universités de plus en plus tournées vers l’entrepreneuriat, et depuis cette année H7, le lieu dédié à l’accélération des startups du numérique.
La Métropole de Lyon soutient également de nombreux dispositifs innovants tels que Lyon Startup, Pépites, Beelys, Bigbooster. Nous avons lancé en 2018 l’offre de services LYVE, avec au cœur du dispositif la création des Pôles d’entrepreneurs. Je viens d’ailleurs d’inaugurer les trois premiers à Givors, la Duchère et Neuville-sur-Saône. Une étude est en cours sur la création de trois nouveaux à St-Fons, Vaulx, Rilleux. Ces pôles viennent compléter le maillage territorial aux côtés des pépinières existantes. Il faut savoir qu’une création d’entreprise sur deux dans la métropole se fait hors de Lyon intramuros.
Entre la pépinière et l’espace de co-working, les pôles apportent une offre de services globale adaptée aux besoins des entrepreneurs : avec des bureaux, des ateliers, des locaux d’activité, des boxes de stockage, des espaces de travail partagés, et une offre d’accompagnement personnalisée qui s’adresse à tous les profils d’entrepreneurs. L’enjeu est de dynamiser l’économie sur l’ensemble du territoire métropolitain, car il est important que ces territoires se développent, créent des entreprises et des emplois.

À quelles évolutions les entrepreneurs doivent-ils être vigilants ?

Aujourd’hui, contrairement à l’époque où je me suis lancé, l’entrepreneuriat s’est considérablement développé. Il y a d’abord un véritable engouement des jeunes pour l’entrepreneuriat, qui ne perçoivent plus leur carrière de façon linéaire et pour qui le salariat n’est plus le seul horizon indépassable. Cette tendance s’est accélérée notamment avec l’émergence du numérique. Internet facilite l’accès à l’information et offre des opportunités de création qui vont bien au-delà de la sphère industrielle, artisanale ou logistique. L’accès à l’information pour créer son entreprise est également facilité. Pour autant, les entrepreneurs sont confrontés à de nouveaux défis, notamment celui de la porosité entre vie au travail et vie personnelle, mais aussi les nouvelles formes « d’entre soi » amenées par nos sociétés et notamment par le numérique. C’est pourquoi il faut aussi leur offrir des espaces de décompression et de rencontres, tels que les espaces de co-working et les Pôles d’entrepreneurs. C’est important également, pour se développer, que l’entrepreneur s’inscrive dans son écosystème, tisse des liens avec son réseau pour ne pas être isolé.

Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs ?

Je ne donnerai pas de conseils en particulier car le parcours se construit dans les tests, les échecs, les rebonds, etc. Créer son activité, quelle qu’elle soit, permet de se réaliser soi-même, de s’épanouir, de découvrir d’autres milieux, d’autres univers. Ce n’est pas sans difficultés mais c’est une école de la vie. En revanche, la Métropole est sensible à créer l’écosystème favorable, c’est sa responsabilité d’aider dans les parcours pour que chacun trouve la compétence qu’il lui faut, le bon conseil, facilite les démarches administratives ou l’accès à des locaux.

Mon conseil : lancez-vous !   

Quel regard portez-vous sur l’ESS et que peut-on en attendre ?

L’économie sociale et solidaire est essentielle pour l’avenir de notre territoire. Le secteur représente 10 % de l’emploi salarié, mais il a vocation à véritablement changer d’échelle notamment pour répondre à l’évolution des besoins en matière de solidarité et aux enjeux de la transition écologique. Les entreprises et les associations de l’ESS ont de ce point de vue une valeur ajoutée. Elles apportent une valeur économique qui n’est plus à démontrer, elles développent également de la valeur sociale et sociétale, du bien-être, de la convivialité, du vivre ensemble : des valeurs sources d’attractivité et d’innovation. Elles contribuent à répondre aux besoins non satisfaits des habitants de la Métropole de Lyon.
De nombreuses initiatives ont vu le jour ces dernières années comme les Donneries qui font se croiser industriels du déchet et insertion ou encore le projet « l’Autre Soie » qui se veut un laboratoire de la Ville Inclusive. Nous avons aussi lancé plusieurs appels à manifestation d’intérêt (ex : Économie circulaire, Insertion par l’activité économique), pour stimuler ces initiatives. L’objectif est d’assoir le droit à l’expérimentation, de rapprocher les entreprises du territoire, pour favoriser l’innovation sociale. Des expérimentations nationales sont en cours comme Territoire Zéro Chômeur, initié par ATD Quart Monde, à Villeurbanne, qui emploie en CDI des chômeurs longue durée du quartier Saint Jean. Pour accélérer le mouvement, j’ai engagé la Métropole dans la démarche nationale French Impact.

L’enjeu est de positionner la Métropole de Lyon comme l’un des territoires d’excellence en matière d’innovation sociale. L’objectif est de « booster » la dynamique sur le territoire et de mobiliser largement l’ensemble des acteurs économiques mais aussi les citoyens dans la construction des réponses aux défis sociaux, environnementaux et économiques qui sont au cœur des préoccupations des grands-lyonnais. Nous avons également lancé une fondation de soutien à l’innovation sociale, qui permettra de compléter les dispositifs de financement existant sur les phases de R&D mais aussi d’accompagner la croissance des entreprises qui ont fait leurs preuves.

Avez-vous des références, des personnes que vous considérez comme de grands entrepreneurs ?

J’en ai évidemment plusieurs en tête, les réussites lyonnaises exceptionnelles ne manquent pas. Il y a bien sûr Alain Mérieux, symbole d’une réussite industrielle remarquable, et qui porte, avec « L’Entreprise des Possibles », une vision sociale de l’entreprise qui m’est particulièrement chère. Thierry de la Tour d’Artaise, PDG du Groupe SEB porte une vision long terme et ancrée dans le territoire de son entreprise. Une personne comme Bernard Reybier, PDG de la PME Fermob, est tout aussi remarquable, celle du petit atelier de fabrication devenu une marque connue partout dans le monde. Le point commun entre ces entrepreneurs, c’est l’innovation, l’internationalisation et en même temps leur lien entretenu avec le territoire. Mais le maître mot c’est l’engagement, celui qui caractérise à mon sens un grand entrepreneur.

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David Kimelfeld
Président Métropole de Lyon
Collectivité
Métropole de Lyon