Fondateur en 1985 d’Habitat et Humanisme, Bernard Devert est aujourd’hui président du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées. Il revient pour Valeurs d’entrepreneurs sur le rôle de l’entrepreneuriat en faveur d’une société plus humaniste et fraternelle. Une société à soigner et réenchanter.

Vous abordez régulièrement les notions d’humanité et de fraternité, de quelle manière peuvent-elles se traduire dans le monde de l’entrepreneuriat et de l’entreprise ?

L’humanisme n’est pas une idéologie ; il est une attention à l’autre s’articulant autour de la question du sens entendu comme une direction, une orientation, une exigence éthique interrogeant le champ de nos relations, y compris celles économiques.

L’humanisme signe la recherche d’une cohésion sociale

Dans nos sociétés qui hésitent et s’agitent, l’humanisme signe la recherche d’une cohésion sociale exprimant la dignité de la personne. Georges Ripert, cet éminent juriste, parlant des entreprises, disait qu’elles constituent des êtres nouveaux qui ne sont pas comptés dans le démembrement de la population mais qui pourtant sont aussi vivants que des êtres physiques. Vivante, l’entreprise l’est pour constamment rechercher des raisons d’être jusqu’à évoluer vers un autrement, prenant en compte le bien commun.

Quels sont les leviers de cet autrement ?

Paradoxalement, ce levier est la prise en compte de la fragilité. Nos sociétés ont été trop longtemps dominées par l’idée que, seul, ce qui est fort est juste, alors que c’est seulement ce qui est juste qui se révèle fort. Cette prise de conscience est au cœur de l’économie solidaire dont Habitat et Humanisme est un des pionniers. Nos sociétés sont très empreintes du mythe de Babel. L’éducation, les relations, tout conduit à ce que le savoir et les pouvoirs soient entre les mains de ceux qui savent ou pensent savoir. Et les autres ?

L’urbanisme est un des syndromes de ce mythe. Les agglomérations sont marquées par des frontières, ô combien visibles, hurlant les différences. Comment taire ces quartiers délaissés, perdus et pourtant si proches, habités par ceux qui n’ont pas d’autres possibilités que de se loger dans les lieux du ban.

L’économie solidaire, un oxymore ! Ces deux mots semblaient ne pouvoir jamais faire attelage. Or, ils s’unissent jusqu’à donner à la finance un prix inattendu, celui d’être un acteur de la transformation sociale. Il nous souvient de l’interpellation du Baron Louis, « Faites-nous une bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances ». Un renversement s’est opéré. À partir de bonnes finances, une politique sociale peut se bâtir pour réduire l’inacceptable qu’est la misère. Longtemps, il fut sage de distinguer, plus encore de séparer, le business de la générosité, laquelle, désormais s’introduit dans le champ de l’entreprise. Comment ne pas voir une économie donnant naissance à des activités dont la rentabilité immédiate n’est pas le premier critère. L’acte de gérer n’est plus seulement de prévoir ce qui est prévisible, sans surprise, sauf à étonner les traders. Il s’agit désormais de se laisser habiter par l’inquiétude de ceux qui n’ont rien ou si peu, jusqu’à se laisser toucher par la fragilité, mère du changement.

L’économie solidaire trouve ainsi sa planète. Une terre, appelée à être habitable pour tous, chacun étant regardé comme absolument unique. Un changement de paradigme qui commence à écrouler nombre de ces idées toutes faites, évaluées jusque-là comme des citadelles imprenables.

Quelle est la place de l’entrepreneur dans cette dynamique ?

L’entrepreneur est un soignant de la cohésion sociale ; quand il s’éloigne de la question du soin, il perd de sa vitalité, observant que si on bâtit pour soi au départ de l’entreprise, assez vite on prend conscience d’une responsabilité sociétale à partir de laquelle s’éveillent et se réveillent de nouveaux possibles. Souvenons-nous des mots de Lamartine : si le réel est étroit, le possible est immense. N’est-il pas dans ce champ de l’entrepreneuriat.

Habitat et Humanisme, pionnier de cette économie, a été soutenu par bien des entrepreneurs qui ont cette approche, ce génie des possibles. Alain Mérieux, Bruno Rousset et bien d’autres nous ont accompagnés pour faire naître des programmes qui participent au prendre-soin. L’humanisme est ce passage de l’entre soi à l’autre soi pour construire un nouvel équilibre social. Là, sans doute, l’entrepreneur se révèle un « vivant », pour refuser cette mort sociale à laquelle trop de nos concitoyens sont confrontés.

Entreprendre procède souvent d’un regard blessé pour avoir accepté de voir. Alors, naît un enthousiasme pour changer et faire changer ce qui doit l’être. Ce dynamisme partagé confère à l’entreprise une vitalité et une cohérence sans égal. Il est son premier capital.

Trouvez-vous que ce regard évolue ?

Plus l’attention à la vulnérabilité est prise en compte, davantage s’impose la recherche concrète de ce qui est juste.

On ne naît pas juste, on le devient.

Cette recherche est l’aiguillon qui met à distance ces tristes et faux alibis s’accompagnant du mépris et de la dénonciation des plus vulnérables, considérés comme responsables de leur situation. Facile et indigne ! L’entrepreneur sait qu’il n’en est rien pour éprouver combien sa capacité de s’investir lui confère la mission de participer au ré-enchantement de ce monde. Une belle et noble  mission qui n’est pas étrangère à la fraternité ! Oui, l’entrepreneur est un acteur de soins.

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Photo de Bernard Devert pour Valeurs d'entreprenurs
Bernard Devert
Président-Fondateur

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