Président fondateur du Groupe Elcia pendant 25 ans, spécialisé dans les logiciels de gestion pour les menuiseries, Franck Couturieux a quitté en juillet 2024 la présidence du groupe pour se consacrer à la préservation du vivant. Il a créé le fonds de dotation le Poids du Vivant et devient mécène au service de la biodiversité.
Entrepreneur réputé, vous avez quitté la présidence du Groupe Elcia que vous avez fondé pour vous consacrer à la protection du vivant. Qu’est ce qui a motivé votre décision ?
Le vivant, c’est mon sujet depuis toujours. La nature qui nous entoure, mon jardin potager, la faune et la flore. J’ai d’abord pris la décision de créer un fonds de dotation en 2021, pour soutenir des projets et associations qui agissent concrètement pour la biodiversité. Convaincu du rôle que doivent aussi jouer les entreprises dans la préservation du vivant, j’ai souhaité permettre à celles-ci d’agir également pour la biodiversité, très facilement via ce fonds. L’idée était de devenir un intermédiaire, un facilitateur entre les mondes économique et associatif. Ensuite, mon implication au sein de la Convention des Entreprises pour le Climat m’a ouvert les yeux sur une évidence : les entrepreneurs découvrent les limites planétaires et comprennent rapidement les conséquences du réchauffement climatique ou la pollution. C’est d’autant plus facile à comprendre que la réduction de l’empreinte carbone est devenue un business, il y a donc beaucoup de communication pour nous dire quoi faire. En revanche, la biodiversité leur est parfaitement inconnue. Face à cette ignorance de mes collègues chefs d’entreprise, j’ai acquis la conviction que je devais consacrer tout mon temps à ce sujet, en développant des solutions avec le fonds de dotation que j’avais créé. En septembre 2023, après un été d’introspection, j’ai annoncé mon départ et j’ai recruté un directeur, issu du milieu associatif, pour m’engager à temps complet dans cette aventure.
Vous avez créé Le Poids du Vivant, un fonds de dotation destiné à soutenir des actions en faveur de la protection de la biodiversité. Comment fonctionne ce fonds et quel est votre rôle ?
Le Poids du Vivant souhaite aider les entreprises à s’investir dans des projets de préservation de la biodiversité. Les acteurs les plus compétents pour cela sont les associations environnementales. Des structures qui effectuent un travail exceptionnel et totalement désintéressé pour l’intérêt général, mais qui manquent cruellement de moyens. Notre action consiste à leur apporter des financements pour amplifier leurs actions. La première étape a consisté à remplir notre portefeuille d’associations compétentes dans les domaines qui intéressent les entreprises. Nous avons décortiqué leurs expertises et actions sur le terrain, leurs comptes aussi pour nous assurer de leur fiabilité dans le temps et de la bonne utilisation des financements.
Dans notre processus, nous privilégions le sourcing des associations et leur capacité à collaborer entre elles plutôt que les appels à projets, chronophages et incertains quant aux résultats. Aujourd’hui, nous avons plus de 60 associations sélectionnées, à qui nous apportons des financements directs. Notre objectif est également de proposer ces associations aux entreprises à travers une plate-forme : une « boutique philanthropique en ligne » pour encourager le financement des projets. Les entrepreneurs découvrent en même temps la diversité des projets et la qualité du monde associatif. Nous agissons en facilitateurs en leur offrant un service sécurisé : choix du sujet, règlement et reçu fiscal. Un point important pour moi : 100% des dons collectés via la plateforme vont aux associations puisque mon action de mécénat consiste à financer des associations en direct et aussi à prendre en charge les frais de gestion du fonds de dotation.
Enfin, nous veillons à faire remonter les informations des activités et résultats des associations vers les entreprises et nous aidons les entreprises à communiquer sur leur contribution.
Cette communication sur la préservation de la biodiversité est très valorisante pour les entreprises, elle les aide notamment dans leurs recrutements et dans leur démarche RSE.
J’en ai moi-même bénéficié en tant qu’employeur.
Quelles sont les missions et actions principales conduites par les structures que vous soutenez ?
Le vivant, c’est vaste ! Les associations que nous accompagnons couvrent les mers et les océans, les forêts, l’eau douce, la faune et la flore sauvages et l’agriculture (les pratiques agricoles, la richesse et la microfaune des sols, la préservation des haies…). Pour chacune de ces thématiques, nous distinguons ensuite plusieurs volets : l’action de terrain, les démarches scientifiques, les actions éducatives et de sensibilisation des élèves… et le plaidoyer. J’étais dubitatif sur ce dernier point, par ignorance. Aujourd’hui, je suis convaincu de la nécessité des démarches de plaidoyer. Faire évoluer la législation est indispensable pour changer la donne. Et pour cela, il faut convaincre. L’impact est considérable, mais cela impose d’être très combattifs et solides à tous points de vue (législatifs, scientifiques, administratifs…), face à certains acteurs qui agissent auprès des gouvernements et au détriment du Vivant.
La Conférence mondiale sur la biodiversité, ou COP 16 vient de s’achever à Cali et n’a pas eu le succès espéré. Quels sont les freins à la protection de nos écosystèmes ?
Le principal problème, c’est la méconnaissance du monde vivant et de la nature qui nous entoure par les dirigeants, les politiques, mais un peu tout le monde en fait. Cette nature qui nous permet de boire, manger ou respirer, nous l’ignorons.
On connait mieux le monde économique que l’on a créé que le milieu naturel qui nous a créés !
Chacun reconnait facilement des centaines de logos de marques, mais c’est beaucoup plus laborieux pour reconnaitre une dizaine d’arbres, de fleurs ou d’espèces d’oiseaux ! On protège ce que l’on aime, et on aime ce que l’on connait. Comment protéger la nature si on ne la connait pas ? Pour agir, il faut d’abord connaitre les sujets. Si vous connaissez la composition des produits chimiques utilisés dans l’agriculture industrielle, vous mangez bio ! Et si vous êtes informés de l’état des océans, de la surexploitation des réserves halieutiques, vous mangez moins de poisson !
Les associations proposent tout ce qu’il faut savoir sur le vivant. Il faut donc les aider à diffuser et à vulgariser ces connaissances auprès du grand public, des entreprises et des décideurs afin que le monde du vivant ne soit plus ignoré.
Comment engager les entreprises à prendre en compte la protection et la préservation de la biodiversité dans leur stratégie ?
Je crois beaucoup à la capacité de la convention des entreprises pour le climat (CEC) à agir pour engager les acteurs économiques à financer des actions en faveur de la biodiversité. Ce mouvement se développe avec une belle énergie partout en France. Les salariés constituent aussi un véritable levier : ils ont à cœur de contribuer, avec leur entreprise, à protéger leur environnement et ont les moyens de convaincre leurs employeurs. Il en va de la réputation et de l’attractivité des entreprises qui recrutent. Et bien sûr il y a la contrainte : politique RSE, CSRD… Même si je ne suis personnellement pas convaincu de l’efficacité de l’action sous la contrainte. Mais ce levier peut être utile.
Le Poids du Vivant pourrait demain être amené à jouer un rôle pour inciter les acteurs économiques à s’engager, si cela répond à une demande des entreprises elles-mêmes. En mettant en place des partenariats utiles pour rapprocher le monde économique du monde associatif engagé pour le vivant, notre proposition réconcilie des mondes qui s’ignorent.
De quelle décision êtes-vous le plus fier aujourd’hui ?
Depuis que je me consacre à mon fonds de dotation, je reçois beaucoup de félicitations et d’éloges. C’est un vrai motif de fierté d’avoir créé le Poids du Vivant, malgré le scepticisme ambiant au moment où je travaillais à sa mise sur pied, scepticisme que j’avais déjà rencontré quand j’ai créé ma société il y a 25 ans. Je suis fier aussi d’être inspirant pour d’autres chefs d’entreprise qui souhaitent agir et qui n’auraient peut-être pas eu l’audace d’être des pionniers en la matière.
Mais ma principale fierté aujourd’hui, c’est d’accompagner les associations dans leurs combats, alors que j’en connaissais à peine l’existence il y a deux ans ! Grâce au fonds de dotation, j’ai découvert un nouvel univers, de nouvelles pratiques, que j’aurais volontiers mises en œuvre au sein de mon entreprise.
Les associations sont des modèles de sobriété, une démarche que les entreprises n’osent pas engager aujourd’hui.
Je rencontre des gens formidables, passionnés, engagés, très professionnels, des scientifiques remarquables qui m’apportent une vraie bouffée d’oxygène. Et me donnent l’énergie, du sang neuf au quotidien, pour poursuivre mon action avec le poids du vivant. Je reste convaincu que les entreprises seront de plus en plus nombreuses à s’engager.
Quand on agit pour la biodiversité, on voit le résultat plus rapidement : un récif coralien reprend vie en dix ans, un champ maltraité par les produits phytosanitaires peut retrouver de la vigueur, et accueillir flore et faune en quelques années pourvu que l’on en prenne soin. Ce n’est pas le cas dans notre lutte difficile contre les émissions de gaz à effet de serre, dont on ne verra pas les effets de notre vivant.
Le vivant nous rend toujours le service qu’on lui offre.
A relire :
Gaétan Lepoutre : Jouer un rôle dans la sensibilisation et l’éducation du public pour réduire le gaspillage et donc les déchets.
Philippe Gabilliet : L’entrepreneur est un optimiste de but et un pessimiste de chemin.