Faire plus ou mieux, avec moins. Tel se résume le concept d’innovation frugale, sujet du livre éponyme de Navi Radjou, publié mondialement par The Economist (en France par Diateino), dans lequel l’auteur franco-indien revient sur les opportunités pour les entreprises en Occident et en France.

Ingénierie et ingéniosité

Faire mieux avec moins semble une évidence, à une époque où les ressources se raréfient, où la contrainte environnementale s’impose et devient réglementaire, et où la compétition internationale amène tous les entrepreneurs à réfléchir aux coûts de fabrication.

Innover de manière frugale est ainsi selon Navi Rajou autant un choix social et philosophique qu’une opportunité économique. Pour les entreprises, le marché des produits frugaux constitue une réponse à une demande, celle des individus consommateurs pour plus de responsabilité et de durabilité. Elle s’inscrit également dans un contexte, où la part de la pauvreté allant croissante en Europe (près de 15% de personnes en dessous du seuil de pauvreté en France et en Allemagne), les produits à bas coût représentent un marché important (plus de 220 milliards de dollars selon Accenture).

Pour Navi Radjou, la France doit se réinventer, et passer d’un pays d’ingénieurs à un pays d’ingénieux, et notamment mieux intégrer la composante numérique. « En France, ce grand pays d’ingénieurs, on a conçu la tour Effel, le Concorde… et beaucoup des grands projets industriels. On doit notamment aujourd’hui se demander comment mieux utiliser le numérique

Et dans ce domaine, les entrepreneurs hexagonaux ont beaucoup d’opportunités à saisir, encore faut-il se poser la question de la valeur ajoutée que l’économie française peut apporter au reste du monde. « On connaît bien le numérique et on a une base industrielle qui nous procure un réel avantage. Il faut l’utiliser pour faire des choses malignes, et non pas se concentrer sur des choses qu’on sait faire ailleurs, comme des jeux informatiques. Ce n’est pas ça qui va donner un avantage compétitif à la France. »

Exemple d’innovation frugale en France

Parmi les exemples cités par Navi Radjou, celui de Qarnot Computing illustre parfaitement la façon dont on peut combiner ingénierie et ingéniosité. Son fondateur Paul Benoit, un ingénieur polytechnicien, travaille sur l’idée de décentralisation des data centers. Jusqu’à présent, ceux-ci sont regroupés dans des usines qui coûtent littéralement des fortunes à refroidir. « Ils consomment 2% de l’énergie mondiale, dont 50% en climatisation. Il faut parfois construire une centrale électrique rien que pour eux » précise Navi Radjou. Qarnot Computing a donc imaginé de transformer ces processeurs en véritables radiateurs. Distribués et installés en réseau dans des maisons, des immeubles de bureau, ils récupèrent la chaleur produite par leur fonctionnement pour chauffer les bâtiments. La plateforme de calcul dans le Cloud utilise ces processeurs décentralisés et permet aux entreprises ou laboratoires de recherche de lancer des calculs.

« C’est un exemple parfait d’innovation frugale. On récupère de l’énergie perdue pour permettre à des gens de se chauffer gratuitement, tout en offrant un service à des entreprises. » Et cela semble fonctionner, puisque BNP Paribas fait partie des premiers utilisateurs et a annoncé un partenariat avec Qarnot Computing. Une solution vertueuse à tout point de vue : « ils peuvent utiliser la plateforme pour leurs besoins en calcul mathématique, tout en réduisant leur empreinte carbone et en chauffant des habitations… C’est ça par exemple, le numérique, dans le monde réel. »


Pour aller plus loin

Présentation vidéo du livre L’innovation frugale

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Le regard de Bruno Rousset

La lecture de Navi Radjou me rend profondément optimiste. Navi Radjou montre que la réussite entrepreneuriale est largement accessible, pour peu que l’on soit imaginatif et attentif au monde qui nous entoure.

Comment favoriser l’innovation frugale en France ? Je crois que tout entrepreneur qui se lance y pense. Quand on est seul face au fait d’entreprendre, on rêve tous de faire le maximum avec le minimum. Car cela coûte moins cher et c’est meilleur en termes d’image. Donc commercialement, cela a aussi du sens. En valorisant l’entrepreneur, l’entreprise, avec tout ce que cela implique en termes de responsabilités, je suis persuadé que dans les faits, on favorise l’innovation frugale.

Ceci est valable pour les gens qui se lancent, mais cela semble plus compliqué au sein des grandes entreprises. Comme l’explique Navi Radjou dans son interview, c’est effectivement plus l’apanage des PME ou des start-up… Dans les grandes entreprises, il faut travailler à rendre les gens plus responsables et plus intéressés. Comme l’expliquait Jean François Zobrist, si les salariés deviennent acteurs de leur entreprise en les laissant, par exemple, s’organiser librement, ils sont plus performants et plus heureux.

Cette suppression de la hiérarchie appliquée aux grandes entreprises permettra naturellement d’innover et de se développer de manière plus frugale.

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Navi Radjou
Écrivain, conférencier