Bien placé dans la « bibliothèque idéale des décideurs[1] », « De Zéro à Un, Comment construire le futur » est une lecture que je conseille vivement à quiconque s’intéresse à l’impact du numérique sur notre modèle entrepreneurial. Concis, pratique, résolument moderne, ce livre propose une véritable méthodologie, fruit d’une longue expérience de son auteur au cœur de la Silicon Valley. Peter Thiel a en effet eu plusieurs vies : geek dans les années 80, il fait partie de la bande à l’origine de Paypal, le pionnier du paiement en ligne. Il a par la suite investi dans de nombreuses sociétés dont la renommée n’est plus à faire parmi lesquelles Facebook, Space X et LinkedIn.

En 2012, il dispense un cours sur les start-ups à Stanford. L’un de ses étudiants partage ses notes de cours en ligne avec ses camarades. Thiel se dit alors qu’il est temps de partager sa vision avec le plus grand nombre et coécrit l’ouvrage avec son ancien élève. « Zero to One » propose une grille de lecture intéressante de l’entrepreneuriat à l’ère du tout-numérique. Sans proposer de formule toute faite, Thiel recense un certain nombre de schémas récurrents en s’appuyant sur son expérience des start-ups. Voici quelques-uns des enseignements de cet ouvrage classé Best Seller par le New York Times.

Le prérequis indispensable : le progrès vertical

La réussite d’une start-up passe par le progrès vertical, c’est à dire la création de quelque chose de neuf, d’inédit. On passe ainsi de « 0 à 1 » contrairement à la progression horizontale qui consisterait à passer de « 1 à n » en copiant ce qui marche. Thiel utilise l’exemple du passage de la machine à écrire au traitement de texte pour illustrer cette transition verticale.

La petite équipe

Une start-up doit se construire sur un collectif (seul, il est impensable de créer un secteur industriel) mais de taille modeste afin de conserver tout son potentiel d’agilité et d’émulation.

Créer un monopole

Pour Thiel : « En situation de concurrence parfaite, à long terme, aucune entreprise ne réalise de profit au plan économique. ». Il oppose en effet les notions de « concurrence parfaite » et de « monopole ». Le monopole s’entend ici comme une entreprise suffisamment performante pour qu’aucune autre ne puisse lui faire ombrage.

Un monopole conjugue généralement un mélange des ingrédients suivants :

  • Une technologie exclusive (10 fois plus efficace que son plus proche substitut).
  • Des effets de réseau (un produit est plus utile à mesure que davantage d’individus s’en servent).
  • Des économies d’échelle.
  • Une image de marque (sans en faire son unique raison d’être).

Tolstoï débute Anna Karénine ainsi « Toutes les familles heureuses se ressemblent mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon. » Pour Thiel, il s’agit du schéma inverse pour une entreprise. « Toutes les entreprises heureuses sont différentes : chacune d’entre elles détient un monopole en résolvant un problème unique. Toutes les compagnies qui échouent sont identiques : elles n’ont pas su échapper à la concurrence. »

Des mensonges pas forcément bons à entendre

Thiel relève un fait intéressant : le mensonge est souvent de mise pour les tenants du monopole ou de la concurrence. D’un côté, les monopolistes cherchent à se protéger en dissimulant la nature du monopole voire en exagérant l’importance d’autres acteurs. Thiel cite en exemple Google qui aujourd’hui se présente comme une société technologique et non comme le leader incontestable du moteur de recherche. De l’autre, le mensonge tenu par les anti-monopoles est pour Thiel la plus grande erreur à commettre pour une start-up : minimiser l’ampleur de la concurrence.

Penser sur le long terme

La concurrence parasite la réflexion sur le long terme. Elle brouille les priorités de l’entrepreneur qui se focalise sur les marges du présent et ne peut se concentrer sur l’avenir. Encore une bonne raison de penser « monopole ». Il ne faut pas se laisser déconcentrer par une absence de bénéfices immédiats. L’essentiel de la valeur d’une entreprise technologique intervient au moins 10 ou 15 ans après sa création.

Les derniers seront les premiers

L’enseignement suivant découle logiquement du précédent. Ce qui compte c’est d’être rentable sur le long terme. Mieux vaut donc être le dernier entrant sur un marché spécifique en proposant un apport significatif plutôt qu’être le premier sur un marché pour en être délogé ensuite par la concurrence.

Commencer petit

Il est plus facile de commencer par dominer un petit marché plutôt qu’un grand. PayPal s’est d’ailleurs lancé en s’adressant aux uniques propriétaires de PalmPilot.

De solides fondations

Si une start-up démarre sur de mauvaises bases (mauvais casting des associés par exemple), ses défauts seront ensuite très difficiles voire impossibles à corriger.

Un salaire qui incite à l’accroissement de valeur pour l’entreprise

Si une entreprise rémunère trop son PDG, ce dernier est incité au statu quo et non à la progression de l’ensemble de la société.

Se distinguer par son travail

Thiel prône une répartition claire et transparente des tâches en entreprise. En étant responsable d’une seule et unique chose, l’évaluation d’un employé est plus simple. Les risques de conflit sont également réduits.

Cette liste de prérequis au lancement d’une start-up peut paraître impressionnante mais Peter Thiel insiste au final sur le fait que les idées prévalent quoi qu’il arrive. « Un mauvais plan vaut mieux que pas de plan du tout. ». En somme, s’il y a une chose à retenir de l’ouvrage de Thiel, c’est bien qu’il faut oser explorer de nouvelles voies. Cette vision attentive à la créativité de l’entrepreneuriat me parle tout particulièrement. Dompter, maîtriser l’incertitude pour bâtir quelque chose de ses propres mains, ce « 1 » qui sans idée forte serait resté « 0 » : là réside l’objectif de l’entrepreneur. Sans risque, pas de réussite possible.

Pour aller plus loin

Cette tribune n’a en aucun cas la prétention de résumer de manière exhaustive « Zero to One ».
Je recommande donc bien sûr pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin de lire l’ouvrage de Peter Thiel & Blake Masters, « De Zéro à Un, Comment construire le futur », JC Lattès, 2016.
Pour les anglophones, je peux également suggérer le visionnage de cette vidéo qui résume en images les idées fortes du livre.


[1] Voir le dossier spécial des « Echos Week-end » paru le 22 juillet dernier qui interroge 200 personnalités du monde économique et politique sur leurs lectures.

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Bruno Rousset
Entrepreneur et homme d’affaires