Bruno Vanryb est un serial entrepreneur du numérique guidé par la passion d’entreprendre. Co-fondateur de la première start-up technologique française en 1984, Avanquest, il est fondateur de Be Brave qui accompagne les entreprises dans leur croissance et auteur de l’ouvrage « Les 10 commandements de l’entrepreneur ». Rencontre avec un passionné pour le blog de Bruno Rousset.

Vous écrivez dans votre ouvrage, « On parle trop d’argent à mon goût et pas assez de passion, de désir et d’envie »…

Bruno Vanryb : Je parle d’un effet pervers de la financiarisation de l’économie qui est que depuis 20 ans le réseau des investisseurs parle beaucoup de retour sur investissement, exit strategy. Soit à quel moment vous allez vendre, à qui et à quel prix. Des jeunes qui montent leur entreprise sont déjà en train de se poser ces questions alors que créer une entreprise c’est avoir envie de la projeter dans l’avenir. Je suis pour ma part extrêmement fier que l’entreprise que j’ai créée en 1984, Avanquest, existe toujours, sous le nom de Claranova. On constate que toute une génération d’entrepreneurs n’a pas, comme les plus grands, Steve Jobs, Bill Gates, l’envie de faire une entreprise qui leur survivrait. L’argent doit être la conséquence de la réussite, non sa cause.

Est-ce que cela témoigne d’un dysfonctionnement dans le système ?

Bruno Vanryb : Sur le plan des financements, il y a selon moi deux dysfonctionnements. Le premier, est de dire qu’il faut absolument qu’on finance la création de grandes entreprises mondiales emblématiques qui valent plus d’un milliard d’euros de valorisation. Cette « course à l’échalote » des valorisations est une forme d’arbre qui cache la forêt. Le sujet, c’est plutôt de réussir son projet d’entreprise. Cette chasse à la licorne crée des levées de fonds excessives sur des projets qui n’ont pas forcément atteint leur maturité, et à des niveaux de valorisation trop élevés. Elle peut ainsi générer chez les quelques entrepreneurs qui les réussissent une notion floue de la valeur de l’argent. Or il faut continuer à dépenser chaque euro comme si c’était le dernier. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas investir et prendre des risques, mais ces risques doivent être calculés et ne doivent pas être pris tous en même temps.

Bruno Vanryb : Sur le plan des financements, il y a selon moi deux dysfonctionnements. Le premier, est de dire qu’il faut absolument qu’on finance la création de grandes entreprises mondiales emblématiques qui valent plus d’un milliard d’euros de valorisation. Cette « course à l’échalote » des valorisations est une forme d’arbre qui cache la forêt. Le sujet, c’est plutôt de réussir son projet d’entreprise. Cette chasse à la licorne crée des levées de fonds excessives sur des projets qui n’ont pas forcément atteint leur maturité, et à des niveaux de valorisation trop élevés. Elle peut ainsi générer chez les quelques entrepreneurs qui les réussissent une notion floue de la valeur de l’argent. Or il faut continuer à dépenser chaque euro comme si c’était le dernier. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas investir et prendre des risques, mais ces risques doivent être calculés et ne doivent pas être pris tous en même temps.

Il faut choisir ses combats intelligemment.

Un autre dysfonctionnement ?

Bruno Vanryb : Le deuxième dysfonctionnement, c’est la réalité des levées de fonds. On constate que l’amorçage s’est considérablement amélioré et trouver les premiers 300 000€ pour démarrer son projet est beaucoup plus facile qu’avant. Il y a ensuite ce qu’on appelle le « tour A », quand l’entreprise est déjà en traction et qu’on lève entre 2,5 et 5 millions. Il faut compter de 48 à 53 mois entre le moment où on crée l’entreprise et le moment où on peut lever un « tour A ». Or très peu d’entreprises vont jusque-là. Pourquoi ? Car entre l’amorçage et le « tour A », il n’y a rien. Cette levée intermédiaire, qu’on appelle « bridge » de 1 million d’euros, est incroyablement difficile à faire. Et c’est un problème majeur.

Quelles pistes pourraient être exploitées ?

Bruno Vanryb : Je ne pense pas que le déversement d’argent public soit la solution. Nous avons en France un problème de structuration des levées de fonds qui fait que nous n’avons pas de réseaux de business angels ou de family offices suffisamment riches et défiscalisés pour permettre toutes ces levées intermédiaires. L’ISF PME permet la défiscalisation par bloc de 40 ou 50 000 € mais au final les gens achètent des parts dans l’entreprise non pas parce qu’ils sont enthousiastes mais parce que ça leur permet de ne pas payer d’impôts. Il faudrait plutôt créer un statut de business angel pour les personnes qui ont les moyens d’investir non pas 50€ mais plutôt 500 000€.

Vous soulignez dans votre ouvrage le manque de nouvelles grandes entreprises…

Bruno Vanryb : Oui, nous payons assez cher l’effet pervers de l’exit strategy, et le fait que tout le monde trouve normal qu’une entreprise soit revendue au bout de 5 ans. Cette sortie est souvent conditionnée aussi par le fait qu’on a relativement peu de fonds qui savent prendre le relais des premiers investisseurs. Or, des grandes entreprises américaines ou asiatiques ont, elles, les moyens d’acheter ces entreprises. Difficile de résister à ces sirènes dans un contexte également marqué par un tissu économique en pleine mutation. La nouvelle économie du numérique, avec la robotisation et l’intelligence artificielle, est le futur des grandes entreprises. Cela s’est passé comme ça aux USA. Quand vous regardez le Nasdaq, les grandes entreprises n’existaient pas il y a 40 ans.

Quel problème cette mutation soulève-t-elle ?

Bruno Vanryb : Cela pose le problème du remplacement du tissu industriel, des anciens métiers par les nouveaux métiers. Et ce n’est pas juste avec la transformation digitale des entreprises existantes qu’on va y arriver. Il faut que de nouvelles entreprises grandissent, et il faut reconnaitre qu’à l’instar de Free (Iliad) de Xavier Niel ou OVH l’hébergeur, les entreprises françaises qui peuvent prétendre une position équivalente à celles qu’on a sur le CAC 40 ne se comptent pas sur les doigts d’une main. Ce qui est intéressant ce n’est pas la licorne, ce n’est pas que sa valeur soit d’un milliard, c’est qu’elle fasse un milliard de chiffre d’affaires.

Au-delà du financement et d’une bonne gestion, quelles sont les clés du succès ?

Bruno Vanryb : Monter une entreprise est une course d’obstacles où on est confrontés à de grandes décisions. Pour surmonter les difficultés, il faut être porté par la passion, parce qu’on y croit, parce que le produit qu’on a créé répond à un réel besoin, parce qu’on est chaque jour enthousiaste à l’idée de développer son projet. C’est le meilleur moyen de passer ces caps. Sans passion, on s’attarde sur les problèmes financiers, et on se retrouve confronté à un obstacle énorme.

Un exemple ?

Bruno Vanryb : Nous étions en 1993 avec la société BVRP, nous avions perdu un très gros client 4 mois avant la fin de l’exercice et il nous manquait un quart du chiffre d’affaire pour finir l’année. Passé le coup de blues, on a trouvé la solution : réinventer les produits, réinventer l’entreprise et la réorienter. On a transformé la menace en opportunité pour se développer à nouveau. Cela nous a permis d’entrer en bourse en 1996 et d’en faire une belle réussite. A cette époque, nous étions avant tout guidés par l’envie de réussir le produit et le projet. Le problème financier était secondaire finalement… L’entrepreneur est quelqu’un qui a de la méthode et qui sait s’entourer. Il n’est pas obligé d’avoir lui-même du génie. En revanche, il doit avoir cette fibre entrepreneuriale chevillée au corps. Une fois qu’il a pris sa décision, il ne peut pas hésiter entre être prof de sport ou créer une application de coaching, et monter une entreprise.

Créer une entreprise, c’est un métier.

Comment cette passion peut-elle être préservée dans un contexte où on incite le plus grand monde à entreprendre ?

Bruno Vanryb : Je suis frappé par les personnes qui disent ne pas avoir d’idée et vouloir monter une entreprise. C’est extrêmement difficile de monter une entreprise, 90% des start-ups auront disparu au bout de 5 ans. Et, sur les 10% qui restent, on oublie de dire que la moitié va à peine survivre. 5% seulement passeront le cap du chiffre d’affaire de 5M€. Je dis en préambule de mon livre que l’entrepreneur est le dernier aventurier des temps modernes, de la même façon qu’on n’est pas tous faits pour un trekking dans l’Himalaya, on n’est pas tous faits pour monter une entreprise. Je ne dis pas qu’un entrepreneur est un surhomme, mais c’est un métier qui s’adresse à des gens qui ont cette fibre en eux, qui accepteront de ne pas toucher de salaire pendant longtemps, de vivre dans des conditions difficiles en travaillant jour et nuit. L’entrepreneur est quelqu’un d’un peu fou. J’adore l’exemple de Bernard Palissy au 16e siècle, qui avait inventé une nouvelle forme de porcelaine. Il n’y arrivait pas parce qu’il fallait chauffer le matériau à des températures extrêmes. Pour y parvenir, il a tout brûlé dans sa maison…

A lire : Les 10 commandements de l’entrepreneur, Editions du Rocher, 2017.

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Le regard de Bruno Rousset

J’ai connu Bruno Vanryb à la fin des années 90 au sein de l’association Croissance Plus, un réseau de dirigeants de PME et ETI françaises. C’était un homme déjà très engagé pour la cause des entrepreneurs, cofondateur avec Denis Payre de cette association.
Il a également été de 2002 à 2005 président de Middlenext, l’association des valeurs moyennes cotées. Bruno Vanryb s’est aussi beaucoup impliqué dans l’écosystème numérique en tant que vice-président du Syntec Numérique de 2010 à 2015 et du Conseil National du Numérique entre 2011 et 2012.
Fort de toute cette expérience qu’il transmet dans le cadre de Be Brave, il a récemment rédigé un ouvrage à destination des entrepreneurs, riche de conseils avisés, dont je conseille vivement la lecture.

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Bruno Vanryb
Serial Entrepreneur
Conseil et levée de fonds
Be Brave