Grand chef d’entreprise et entrepreneur, Alain Mérieux a lancé en 2019 l’Entreprise des possibles, une initiative pour mobiliser les entreprises au bénéfice des sans-abris. Une dynamique que la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a rendu plus nécessaire encore. Retour pour Valeurs d’entrepreneurs sur son parcours et sa vision de l’entrepreneuriat et de l’entreprise dans un monde bousculé.
Valeurs d’entrepreneurs : Quel regard portez-vous sur votre parcours d’entrepreneur ?
Alain Mérieux : J’ai eu la chance de naître dans une famille tournée depuis plusieurs générations vers la santé publique. Élevé dans cette tradition, je me suis tout naturellement engagé dans l’entreprise créée par mon grand-père Marcel Mérieux, puis développée au plan industriel par mon père, le Dr Charles Mérieux. En 1968, j’ai pris la direction de l’Institut Mérieux dédié aux vaccins humains et vétérinaires et, avec nos équipes, nous avons porté l’aventure partout dans le monde. Nous avons pu vacciner des millions de personnes et contribué à éradiquer des maladies infectieuses qui faisaient des ravages, prévenir des épidémies majeures… Nous l’avons fait sans frontière d’aucune sorte : ni géographique car les virus et bactéries ne connaissent pas les frontières, ni d’espèce car les médecines humaine et vétérinaire sont étroitement liées. C’est un principe majeur dans la lutte contre les maladies infectieuses qui ne peut être que mondiale et globale. La pandémie de Covid-19 le démontre une fois encore avec un virus venu de l’animal, transmis à l’homme et se répandant extrêmement rapidement du fait de la mondialisation.
En parallèle des activités vaccinales, j’avais créé bioMérieux en 1963, une société de diagnostic in vitro. Elle est aujourd’hui aux premiers rangs mondiaux dans son domaine.
Lorsque nous nous sommes désengagés des vaccins en 1994, j’ai recentré l’Institut familial autour du diagnostic, de l’immunothérapie et de la prévention des risques sanitaires, avec la sécurité alimentaire en particulier.
Avec 20 000 collaborateurs, nos sociétés sont aujourd’hui en mesure de développer des réponses complémentaires et mondiales dans la lutte contre les maladies infectieuses.
Quelles sont vos valeurs d’entrepreneur et vos moteurs d’action ?
Ils sont étroitement liés à la nature même de nos activités. On ne peut répondre aux besoins de santé publique que par une approche mondiale et de long terme qui laisse une grande part à l’innovation scientifique et technologique. Et aussi à la prise de risques !
Cela ne peut se faire que parce que nous avons su préserver notre indépendance et ainsi garder le cap en dehors de contingences financières de court terme.
Nous avons toujours travaillé dans un esprit d’ouverture avec la communauté scientifique nationale et internationale, avec des collaborations qui nous ont tous fait avancer.
On est beaucoup plus intelligent à plusieurs que tout seul !
Je pourrais résumer mes principes pour l’action par International, Innovation et Indépendance avec une bonne dose de long terme.
Après avoir développé nos entreprises, je suis heureux et fier d’avoir su les transmettre et mon fils Alexandre a magnifiquement repris le flambeau. La transmission est une étape cruciale dans le parcours d’entrepreneur. Dégagé de l’opérationnel, je me consacre aujourd’hui aux Fondations Mérieux, toutes deux consacrées à la lutte contre les maladies infectieuses dans les pays vulnérables.
Quel a été le déclic qui vous a conduit à la création de L’Entreprise des possibles ?
Je voyage beaucoup dans le monde pour nos fondations et je me rends dans des pays difficiles. Pourtant dans ces régions confrontées à une grande misère, je constate une solidarité qui se vit au quotidien et aussi une grande générosité. Lorsque je reviens en France et à Lyon, je suis choqué de voir des personnes à la rue, que plus personne ne voit. Des invisibles laissés au bord de la route. J’ai alors pensé que nos entreprises avaient un rôle à jouer. Elles sont la force vive de notre pays, elles savent être réactives, se mobiliser avec une grande efficacité.
Nos collaborateurs sont de plus en plus demandeurs de sens dans leur quotidien professionnel, particulièrement les jeunes générations qui, au-delà de la performance, veulent que nos entreprises servent une finalité plus large au service de la société et du bien commun.
J’ai donc appelé mes amis entrepreneurs et pour servir la cause des sans-abris, nous avons lancé l’Entreprise des Possibles, un collectif qui s’élargit de plus en plus. Nous sommes aujourd’hui plus de 45 entreprises sur la métropole lyonnaise qui, avec leurs 30 000 collaborateurs, ont rejoint ce collectif. Nous sommes soutenus par les organisations patronales (Medef, CPME), les syndicats, la Chambre de commerce.
L’arrivée de l’épidémie de Covid-19 a créé une situation dramatique pour les personnes sans-abri. Nous avons lancé un nouvel appel auprès du monde de l’entreprise qui a répondu présent ! J’en suis particulièrement heureux et fier.
Quels sont selon vous les grands enjeux pour les entrepreneurs aujourd’hui ?
Au-delà des enjeux sanitaires actuels, nous traversons une crise profonde et il nous faudra repenser l’ensemble de nos modèles. Nous ne repartirons pas comme avant, j’en suis convaincu.
La réponse aux priorités sociétales reste un enjeu pour les entreprises. Contribuer à aider les plus faibles, préserver une planète qui en a bien besoin… Mais pour pouvoir le faire, elles doivent rester performantes car sans performance il ne peut y avoir de générosité.
L’ouverture à l’international reste indispensable, même si avec la pandémie de Covid-19, on constate aujourd’hui les effets collatéraux de cette mondialisation. Ce que nous vivons démontre cependant la nécessité de conserver dans notre pays nos centres de décision, ainsi que des capacités de recherche et de production pour assurer notre indépendance.
La crise actuelle met en lumière l’extraordinaire capacité d’adaptation de nombreuses entreprises. Elles réussissent à maintenir leurs activités, tout en protégeant leurs collaborateurs, à s’adapter pour répondre dans leur domaine de compétences au problème du Covid-19 et servir l’intérêt général.
Cette agilité et cette réactivité sont essentielles. Elles n’excluent en rien l’anticipation et une nécessaire vision à long terme.
La gestion trop financière des entreprises a marqué ses limites.
Il faut revenir à un vrai capitalisme entrepreneurial et industriel, attaché à ses racines, généreux et ouvert sur le monde et les autres.
A relire : L’article de Bruno Rousset sur le rôle social de l’entreprise