Après s’être formée à l’Epsci (BBA Essec), Corinne Vigreux a fait ses armes chez Infogrames (l’éditeur lyonnais de jeux vidéo) puis Psion a Londres (PDA : assistants digitaux personnels) avant de faire naître la grande success story des applis GPS TomTom. Une belle aventure entrepreneuriale où la capacité d’adaptation et l’esprit d’équipe ont été déterminants. Chevalier de la Légion d’Honneur en France et Officier de la Légion d’Honneur en Hollande, Corinne Vigreux est aussi engagée aux côtés des jeunes pour les aider à accéder au marché de l’emploi. Une ambition concrétisée par une fondation, Sofronie, et une école, CODAM. Rencontre pour Valeurs d’entrepreneurs.
D’où vient TomTom ?
Corinne Vigreux : Nous sommes à la fin des années 80. Je travaille alors chez Psion et je rencontre le distributeur néerlandais de Psion qui deviendra mon mari. En 1991, il me propose de m’associer avec deux de ses amis qui développent des logiciels. Nous commençons par faire des logiciels grand public pour PDA très variés comme des dictionnaires bilingues, des programmes pour gérer des comptes financiers… Après avoir licencié ces produits à différentes sociétés nous créons notre marque, Palmtop Software. En 1995, nous nous lançons sur le marché de l’aide à la navigation. Le premier TomTom voit le jour en 2004. A ce moment-là nous sommes 45 salariés. Tout le monde nous dit : « vous êtes fous, la navigation va arriver par les systèmes embarqués dans les voitures, votre idée ne marchera jamais ». C’est pourtant là que tout a commencé.
Par quoi étiez-vous convaincue ?
Corinne Vigreux : Les systèmes de navigation allaient être intégrés dans les voitures neuves nous en étions conscients. D’ailleurs aujourd’hui plus de 30% des véhicules sont équipés d’un GPS intégré. Mais le parc automobile européen, c’est 250 millions de voitures ! Le champ d’action possible était intéressant. Notre prévision était de produire 200 000 GPS sur un an et en six mois nous avions tout vendu. Nous sommes passés en un temps record de zéro à un million de produits car la hausse de la production a aussi permis de faire baisser les coûts.
Le passage de 0 à 1 million du TomTom a été plus rapide que celui du téléphone portable.
Toutefois, nous savions que comme pour tout produit grand public il arrive un moment où le marché est saturé.
Comment avez-vous anticipé cette saturation ?
Corinne Vigreux : Nous avons fait le choix d’entrer en bourse en 2005 car nous savions que nous aurions besoin de capital pour continuer notre croissance. Dans le même temps, nos utilisateurs nous remontaient les erreurs de cartographie et nous avions besoin d’ajouter une corde à notre arc. La réflexion était simple, si nous pouvions avoir une cartographie de base et traiter directement les erreurs, nous aurions le meilleur outil du monde en temps réel. D’où le choix en 2007 de racheter notre cartographe, TeleAtlas. Cette évolution a été significative. Nous sommes passés de 42 millions à un 1,8 milliard de chiffre d’affaires en cinq ans. Oui mais en 2008 nous sommes frappés par la crise, le contexte économique est difficile, nous avons déjà vendu 60 millions de produits, Google décide de mettre gratuitement à disposition la navigation sur les téléphones, les portables se développent… C’est le début de la décroissance.
De quelle manière avez-vous réagi ?
Corinne Vigreux : Après avoir diversifié notre activité, nous décidons de faire pivoter notre approche marché en nous concentrant sur nos compétences technologiques telle la mise à jour de l’information trafic et de la cartographie en temps réel. Nous l’avions déjà fait en passant du soft B to B au soft B to C, puis du soft au hard. Là l’idée était de développer notre partie B to B à nouveau. Cela nous a permis de devenir un des plus gros fournisseurs de navigation et de cartographies en automobile. Aujourd’hui, nous avons quatre divisions, une division consumer, une division télématique, une division automobile et une division cartographie et trafic. Et cela nous permet de bien affronter la concurrence. Notre cartographie est accessible au monde entier sous licence. Si vous avez un téléphone Apple par exemple, la carto c’est nous. Nous sommes le premier fournisseur d’informations de trafic sur l’Europe et le deuxième aux Etats-Unis.
Vous avez su surmonter les obstacles en continuant à développer l’activité malgré un contexte parfois incertain. Quelles ont été les clés ?
Corinne Vigreux : La première clé est que nous sommes des fondateurs très soudés et complémentaires. Souvent chez les entrepreneurs, les équipes fondatrices sont importantes parce qu’elles ont la résilience nécessaire pour gérer l’équipe. La deuxième clé est peut-être de ne pas avoir eu peur de déléguer au moment de la croissance. La troisième est de toujours être à l’écoute du client, c’est-à-dire ne jamais perdre de vue le problème qu’on essaie de résoudre. Par exemple nous utilisons aujourd’hui nos technologies pour travailler sur ce qui va être nécessaire à la conduite autonome. La quatrième est de prendre des risques en se donnant les moyens d’être visionnaire. Dans notre cas, au moment de la croissance notamment, un des gros risques était la dispersion. Les gens arrivaient avec des idées nouvelles, un projet ici, un projet là. La menace est alors de se perdre.
Il faut prendre des risques mais avoir une vision claire des axes sur lesquels on a envie de se positionner.
Nous avons toujours continué à investir en R&D et à innover même dans les périodes de crise.
Forte de toute votre expérience de dirigeante vous êtes également investie socialement, notamment auprès des jeunes…
Corinne Vigreux : J’ai monté il y a dix ans une fondation qui s’appelle Sofronie dont le rôle est de soutenir le développement de programmes en faveur des enfants défavorisés. Je me concentre essentiellement sur l’Angleterre, les Pays-Bas et la France spécifiquement sur Lyon et Vaulx-en-Velin où j’ai passé toute mon enfance. Je supporte plusieurs fondations locales qui défendent aussi la mobilité sociale, c’est-à-dire essayer de faire en sorte que les enfants qui ont du potentiel, notamment dans des banlieues, puissent un jour peut-être faire comme moi et passer de l’autre côté de la barrière. Je suis également en train de monter à Amsterdam une école sous licence de 42, l’école de Xavier Niel, qui s’appelle CODAM.nl.
Je vois ce que la technologie peut faire et je me dis que le monde de demain a besoin de plus de talents.
Combien d’enfants « restent sur le carreau » alors qu’ils ont du potentiel ? Donner accès à l’éducation à chacun, quels que soient les revenus, le milieu social ou les diplômes, est la philosophie de 42. C’est dans cette optique aussi que je soutiens les Apprentis d’Auteuil.
Les enfants, il faut les éduquer à continuer à apprendre, à être curieux. En cela l’entreprise a un rôle important à jouer et c’est ce qui me motive !
En savoir plus :
http://sofronie.org/
http://www.42.fr/
Page Facebook Codam
Le regard de Bruno Rousset
Corinne démontre que l’entrepreneuriat n’est pas toujours un long fleuve tranquille surtout en période de bouleversements technologiques. Tom Tom a du pivoter voire changer de métier plusieurs fois pour s’ajuster à son environnement.
Voici une femme issue des banlieues qui a brillamment réussi son entreprise et qui s’investit socialement dans des projets tournés vers les jeunes défavorisés prometteurs en terme de talents.
Un bel exemple à suivre…