Cofondatrice et dirigeante de Foodprint, Elisa Jourde accompagne les acteurs de la restauration collective dans la transition écologique grâce à un service de calcul, affichage et mesure de l’empreinte carbone des menus. Elle confie à Valeurs d’entrepreneurs ses convictions pour sensibiliser le plus grand nombre à l’importance du contenu de son assiette.

Vous avez créé Foodprint en 2022. Quelle était votre motivation ? Quels sont vos clients ?

L’idée est née d’une demande des étudiants et du personnel d’un restaurant universitaire à Grenoble qui souhaitaient en savoir davantage sur le contenu de leurs assiettes : l’origine des produits, leur impact environnemental et leurs qualités nutritionnelles. Or, il est impossible d’améliorer ce que l’on ne mesure pas. Dans le secteur de la restauration collective, il y a un angle mort sur l’impact environnemental et nutritionnel des repas servis chaque jour à des millions de personnes. J’ai fait le constat de l’incohérence entre les besoins exprimés par les acteurs de terrain, les discours sur la transition écologique, le climat ou encore la santé publique, et les outils mis à disposition des cuisiniers ou du personnel de service. Cela nous a motivés à développer une solution simple et opérationnelle. Le secteur de la restauration collective est marqué par un fort turnover, il lui faut des outils faciles à mettre en œuvre. Nous avons commencé avec des moyens rudimentaires – du papier et des feutres – avant d’évoluer vers une solution technologique. Aujourd’hui, notre plateforme digitale s’intègre dans les systèmes de nos clients qui sont des acteurs publics et privés, des grandes entreprises comme Technip Énergies ou Veolia, des restaurants universitaires affiliés au Crous, des établissements médico-sociaux comme les EHPAD ou des structures accueillant des personnes en situation de handicap. Nous travaillons également avec des écoles de cuisine et des grands groupes de restauration comme Compass. Le secteur fonctionne avec des marges très faibles, où chaque centime compte dans les négociations et les achats.

Quel profil d’entrepreneuse êtes-vous ? Quelle est votre vision de l’entrepreneuriat ?

Je suis entrepreneuse par conviction et suis convaincue que l’engagement et le business forment un cercle vertueux. Le pourquoi motive et guide mon action. Je m’appuie sur des valeurs qui me tiennent à cœur, tout en restant ancrée dans le réel. Ce qui m’a poussée à entreprendre, c’est la volonté de résoudre un problème concret pour apporter ma contribution à une transition plus vaste et systémique. Et bien sûr aussi une quête de liberté. Foodprint, c’est un moyen de répondre à l’urgence climatique et aux injonctions contradictoires. L’entrepreneuriat n’est pas un simple acte de conquête mais davantage un acte de soin :

L’entrepreneuriat n’est pas un simple acte de conquête mais davantage un acte de soin.

Soin du vivant, soin des équipes, des utilisateurs et des partenaires. Je suis aussi convaincue de la force des alliances. Être petit impose une certaine humilité, mais cela permet de collaborer avec d’autres acteurs – start-ups ou grandes entreprises – pour atteindre des objectifs communs. Ma motivation, c’est cette raison profonde et constante : réconcilier efficacité, impact environnemental et simplicité.

Vous entendez participer à la transformation des pratiques alimentaires et de consommation. Quelle est votre méthode ?

D’abord, ne pas moraliser ni culpabiliser. Ce qui fonctionne le mieux, c’est l’inspiration. Nous fournissons des clés, sur le principe du nudge : nous partageons l’information et expliquons comment agir.

L’idée est d’éclairer sans effrayer, en mettant les données au service du bon sens.

Concrètement, nous analysons les plats servis en restauration. Nous affichons en temps réel l’impact environnemental et nutritionnel des choix alimentaires. En parallèle, grâce à notre logiciel, nous proposons aux équipes de cuisine et aux gestionnaires des outils pour améliorer les menus, et aux convives des informations claires et accessibles. Par exemple, un écran compare les plats proposés chaque jour avec un code couleur. Et nous proposons des contenus éducatifs sur l’impact environnemental de la viande ou les bienfaits d’une alimentation équilibrée. Nous n’affichons pas une empreinte carbone brute ; nous vulgarisons ces données en les traduisant dans des équivalents concrets comme le nombre de kilomètres parcourus en voiture. Notre ambition est aussi d’avoir un impact en amont sur les achats et la structuration des filières agricoles, car c’est là que se situe la majeure partie des impacts environnementaux. En réduisant la part des produits d’origine animale dans les menus, on réalise des économies significatives. Dans la restauration collective, les plats végétariens génèrent une meilleure marge que ceux contenant de la viande. Ces marges supplémentaires peuvent être utilisées pour financer des actions de sensibilisation ou la réduction du gaspillage alimentaire. Nous valorisons aussi les circuits courts en mettant en avant l’origine des produits et leurs producteurs. L’affichage du visage ou le nom d’un producteur renforce le lien entre convives et producteurs et sensibilise au consommer local. Nous avons aussi développé une application qui scanne une assiette pour obtenir une estimation moyenne de son empreinte carbone. Nous privilégions les écrans, placés à des endroits stratégiques : devant les zones où les convives font leurs choix alimentaires ou encore près des files d’attente.

Vous proposez des formations et des séances de sensibilisation auprès du grand public. Comment vous y prenez-vous ?

Le terrain, c’est la meilleure manière d’apprendre. Notre approche part des demandes des structures, leurs questions et leurs besoins orientent nos contenus. Pour la métropole de Grenoble, nous avons organisé des ateliers ludiques lors de festivals, sous forme de jeux familiaux. En parallèle, nous avons développé des formations professionnelles étroitement liées à notre logiciel. Nous abordons la réduction du gaspillage alimentaire ou l’achat de produits plus durables, en tenant compte des contraintes spécifiques des établissements et des marchés négociés. Nous intervenons également dans les établissements médico-sociaux sur la responsabilité sociétale des entreprises dans la restauration. Nous collaborons avec des écoles et des formateurs spécialisés en cuisine végétarienne ou végétale. Dire qu’il faut végétaliser les menus est une chose, mais sans formation adaptée, c’est difficile de créer des plats savoureux, esthétiques et attractifs pour les convives. Nous rendons accessibles des sujets complexes comme l’empreinte carbone, la nutrition ou les réglementations issues de la loi EGALIM. Nous utilisons des outils pratiques tels que des jeux, mises en situation et quizz pour proposer un apprentissage dynamique et adapté à un public souvent très actif comme les chefs ! Et nous favorisons les échanges entre professionnels issus de différents établissements pour encourager le partage d’expériences : un participant expose ses problématiques, un autre des solutions éprouvées.

La transition écologique se construit aussi dans les cuisines et par le biais d’interactions humaines.

Une initiative particulièrement réussie a consisté à former en binôme les directeurs d’EHPAD et leurs chefs cuisiniers pour surmonter les freins liés au matériel ou aux budgets souvent imposés par la direction..

Comment peut-on innover aujourd’hui pour mieux manger demain ?

L’innovation ne se limite pas à des technologies de rupture. Par exemple, des outils de reconnaissance ou des prédictions sur le nombre de convives aident à réduire le gaspillage alimentaire. Chez nous, l’innovation réside dans le croisement d’outils de calcul environnemental avec une ergonomie adaptée à l’affichage environnemental en restauration collective. Mieux manger demain implique des actions à toutes les échelles, en particulier au niveau agricole et dans les négociations liées aux achats.
L’innovation doit avant tout servir l’accessibilité au plus grand nombre. Dans un monde où la population continue de croître, ces solutions ne doivent pas être réservées à une élite. En rendant l’information accessible, l’innovation devient non seulement plus puissante mais également politique. En comparant les données issues des caisses avec celles des mêmes périodes l’année précédente, nous constatons une augmentation d’environ 18 % du taux de prise des plats les plus vertueux sur le plan climatique – souvent les plats végétariens – dans les six mois suivant l’affichage. La restauration constitue un levier puissant pour sensibiliser et engager les citoyens dans une transition alimentaire durable.

Quelle est votre prochaine étape ?

Nous continuons notre développement dans la restauration collective et renforçons nos partenariats avec des groupes comme Compass. Ces collaborations nous permettent de bénéficier de la capacité de développement de nos partenaires, pour accroître notre impact. Par ailleurs, FoodPrint souhaite se diversifier en entrant sur le marché de l’hôtellerie avec un concept plus ludique et premium, intégrant ses solutions dans les chartes graphiques des hôtels pour se rendre plus visible.

A relire :
Franck Couturieux : Un parcours au service du vivant
Gaétan Lepoutre : Sensibiliser pour réduire le gaspillage et donc les déchets 
Diane Dupré la Tour : Prendre sa place à table, c’est comme prendre sa place dans la société

Portrait d'Elisa Jourde pour le blog Valeurs d'entrepreneurs
Elisa Jourde
Cofondatrice et CEO
Start-up
Foodprint