Directrice du Foyer Notre-Dame des Sans-Abri depuis 2013, Marion Veziant-Rolland a été auparavant responsable Administration-Finances du CCFD-Terre Solidaire et contrôleur financier au sein d’une entreprise de négoce de matières premières agricoles, ainsi que dans une entreprise d’informatique. Elle partage pour Valeurs d’entrepreneurs son engagement au sein du Foyer, une association reconnue d’utilité publique, créée en 1950.

Vous êtes directrice du Foyer Notre-Dame des Sans-Abri, créé dans les années 50 à Lyon. Qu’est-ce qui motive votre engagement ?

Ce qui motive mon engagement : c’est à la fois très sérieux et très dérisoire, très ambitieux et très pragmatique : c’est changer le monde, à ma mesure, tous les jours. Pour celles et ceux que nous accueillons – les passagers -, pour celles et ceux que nous n’arrivons pas à accueillir, pour les salariés et les bénévoles.

Quel est le modèle économique de l’association ?


Le modèle économique du Foyer repose sur des financements publics pour 71% de ses recettes d’exploitation : 23M€ sur 33M€ de recettes. Une autre partie des ressources provient de la générosité sous toutes ses formes : dons, legs, mécénat, recette de nos magasins etc.
Aujourd’hui, ce modèle est malheureusement structurellement déficitaire car les coûts et charges augmentent plus vite que les ressources, dans un contexte de contrainte budgétaire forte pour les financeurs publics.

Plus de 300 000 personnes ne disposent pas de logement en France. Quelles actions conduit Le Foyer à lutter contre cette situation ?


Trois cent mille sans-abri, c’est sans doute en dessous de la vérité, mais par principe il est difficile d’évaluer le nombre de sans abri dans un pays où le recensement se fait sur la base d’une adresse… Un enquête INSEE est en cours, avec un protocole adapté au recensement des personnes sans-abri. La dernière édition de cette enquête date de 2012. Nous disposerons de résultats bientôt. En 2012, on comptait un peu moins de 200 000 personnes à la rue, dont 20 à 25 % de mineurs. La situation s’est fortement dégradée depuis. Le Foyer n’a pas la prétention de régler le problème du sans-abrisme en France, que 30 ans de politiques publiques n’ont fait qu’aggraver. En cause : des politiques publiques qui excluent, qui sont paradoxales, et produisent des résultats contradictoires : la politique logement (insuffisance de production de logement abordable), la politique migratoire (obstacles à l’intégration des personnes et maintien dans la précarité), les politiques de santé (systématisation de l’ambulatoire, etc.). Ce que nous faisons : accueillir, héberger, accompagner, insérer.. le plus de monde possible. En inventant des solutions, en s’adaptant aux besoins des gens. En leur faisant confiance et en s’appuyant sur leurs compétences, leurs capacités, leurs envies.
Ça ne remplacera pas une politique du logement correcte, ou les moyens qui manquent à la psychiatrie…sans parler des migrations. Mais c’est notre mission. Plus symboliquement, notre enjeu est de changer le regard que l’on porte sur les sans-abri. Nous ne sommes pas là pour décider à la place d’autrui, pour savoir mieux qu’elles ce dont elles ont besoin. Nous sommes là aussi pour écouter leurs besoins.

La plus grande compétence que l’on peut reconnaitre à quelqu’un, c’est de lui laisser le choix de ce qu’il ou elle souhaite faire.

La plus grande compétence que l’on peut reconnaitre à quelqu’un, c’est de lui laisser le choix de ce qu’il ou elle souhaite faire. Elles ont alors la capacité de décider. Une démarche précieuse pour des personnes qui n’ont cessé de subir leur parcours

Le Foyer s’appuie sur une équipe de salariés et de bénévoles. Comment recrutez vous ? Quel profil de manager êtes-vous ?

Nous recrutons des salariés, des bénévoles, par tous les moyens possibles, écoles, réseaux sociaux, réseau, annonces…Les candidatures spontanées sont bienvenues aussi ! Nous ne recrutons pas par hasard. Les gens qui nous rejoignent ont une histoire avec le Foyer, soit parce que leurs parents les ont emmenés pour un Noël au centre Gabriel Rosset quand ils étaient enfants, ou par une rencontre à l’aumônerie de leur lycée…L’engagement pris quand on était jeune a souvent des répercussions sur des engagements professionnels à l’âge adulte.

Quel profil de manager ? Je ne sais pas, il faut demander à celles et ceux que je manage ! Je pense que je fais confiance aux gens. On n’a jamais fini d’être ou de devenir manager.

Quelles sont les orientations stratégiques (2027) pour l’avenir de la structure ? Plus globalement, quels sont vos principaux défis pour les prochaines années ?

Nous nous sommes donnés en 2022 un plan quinquennal (CAP2027), qui comprend 6 grandes orientations stratégiques. Elles parlent de la qualité de notre action, de son adaptation aux problématiques du public, qui parlent de l’excellence de certaines de nos propositions ; qui font aussi de l’importance à la place des personnes dans notre organisation : les passagers, les salariés, les bénévoles, leur autonomie, leurs compétences, etc. ; une orientation stratégique parle aussi de la transition écologique, une autre de nos financements, et la 6e est spécifiquement dédiée à l’organisation de nos magasins solidaires, les Bric-à-Brac.
Les défis des prochaines années ? Nous sommes dans un secteur en pleine expansion ! La grande précarité, la grande pauvreté. De plus en plus de monde à la rue, des politiques publiques et des sociétés qui excluent. Des regards qui se durcissent envers ceux qui sont différents, qui ont « fait les mauvais choix » et se trouvent en marge.

Nos défis c’est d’accompagner toutes les formes de précarité.

Nos défis c’est d’accompagner toutes les formes de précarité. Mais aussi imaginer des solutions qui font du lien, comme les tiers-lieux, pour rapprocher les gens.
Des défis financiers aussi, avec des financeurs publics qu’il faut convaincre longuement.
Des défis humains enfin : recruter des salariés et des bénévoles, leur permettre de s’épanouir et de rester !

Vous veillez à conjuguer transition écologique et solidarité. Comment s’illustre cette ambition ?


La transition écologique, c’est pour tout le monde ; d’abord les effets du dérèglement climatique touchent et toucheront en priorité les plus fragiles, ceux qui sont à la rue, en squat ou en logement insalubre, ceux qui sont malades, ceux qui n’ont pas d’argent, ceux qui sont seuls.
C’est vrai au niveau mondial, et le dérèglement climatique jette déjà sur les routes des millions de personnes, et ce n’est que le début. Dans le secteur social, on a parfois tendance à opposer écologie et social, en considérant que la priorité est de donner un toit aux gens ; pour aborder les enjeux écologiques dans un deuxième temps. C’est une erreur.
Nous sommes déjà largement engagés dans une démarche écologique avec nos activités de réemploi et recyclerie, mais devons aller plus loin. Notre ambition pour les mois et années à venir :

  • Réfléchir à l’impact de nos activités pour les faire évoluer : achats responsables, transports en modes doux, bâtiments (isolation, qualité des matériaux, etc.), consommations, alimentation…
  • Sensibiliser les salariés et les bénévoles, les personnes accompagnées pour, in fine, réduire notre impact, celui de nos activités, et de toutes nos « parties prenantes ». Comment conjuguer sobriété et amélioration du niveau de vie ? Comment sensibilise-t-on les personnes qu’on accompagne à faire des choix d’alimentation, de modes de transport, de consommation plus respectueux de l’environnement ? Il serait très condescendant et contraire à notre stratégie n°3 – quelle place pour les salariés, les bénévoles et les personnes accompagnées – de laisser entendre que les personnes hébergées ne peuvent pas comprendre ces sujets. Nous devons avoir des propositions et des actions pour les aider à choisir. Il y a un parallèle à tirer entre la solidarité au sens large et la transition écologique. Faut-il ne rien faire ou donner confiance aux gens pour faire à leur mesure, là où ils sont, même si cela relève effectivement de l’effet colibri ? Que chacun puisse agir, même modestement, et nous aurons fait un pas dans la bonne direction. Dans nos actions de solidarité, faire confiance aux gens, sans naïveté, change notre impact sur la transition écologique.
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Marion Veziant-Rolland
Directrice