Aujourd’hui directeur général de l’Agence pour le développement économique de la région lyonnaise (Aderly), Bertrand Foucher a passé cinq ans en tant que Président exécutif de l’entreprise SAS EmerJean dans le cadre de l’expérimentation Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée. Il partage pour Valeurs d’entrepreneurs son regard sur ce qui doit guider le développement économique et le rôle des entrepreneurs.
Comment construire un développement économique harmonieux ?
En portant un développement qui associe prise en compte des habitants et des enjeux climatiques. Dans le monde du développement économique, on raisonne souvent dans une logique BtoB, soit attirer et développer des entreprises sur un territoire. Aujourd’hui, on tend à réfléchir plus fortement aux finalités de notre action en termes de BtoC avec un C qui n’est pas uniquement celui de client mais de citoyen. Ce citoyen est tout à la fois habitant d’un territoire, salarié d’une entreprise ou entrepreneur. L’action d’un développeur économique qui ne prendrait pas en compte ces multiples dimensions d’un individu est vaine.
La question des finalités de l’activité économique est de plus en plus présente dans nos réflexions. Concrètement, cela ne veut pas dire que l’on propose directement des services aux citoyens mais que le citoyen est pris en compte dans la réflexion sur le développement des activités économiques sur le territoire et l’attractivité. Il n’est de toute manière plus possible d’avancer sans lui.
Quelle est la place de l’entrepreneur dans cette dynamique ?
Je rencontre beaucoup d’entrepreneurs et je vois la finesse de leur réflexion. Ils sont engagés, conscients des réalités notamment environnementales et du lien avec la justice sociale. Ces enjeux remettent totalement en cause des business models et nombre d’entrepreneurs doivent revoir leur copie pour l’avenir de leur entreprise. Ils sont donc fortement mobilisés. De la même manière, les enjeux sociaux sont clefs pour eux car sans les prendre en compte, ils n’arrivent pas à recruter et fidéliser. Plus largement l’entreprise est aujourd’hui un des rares lieux où se vit encore une grande mixité sociale autour du travail. Je suis très optimiste en fait, sur la capacité de l’entrepreneur et des entreprises à pouvoir réaliser la transformation écologique. Les investisseurs sont également en première ligne et leur rôle est fondamental. La transformation est entre leurs mains, à condition qu’ils sachent correctement orienter leurs ressources ce qu’ils font d’ailleurs de plus en plus pour sécuriser leurs investissements. Le financement par la puissance publique sert comme un effet levier pour développer le financement privé.
De quelle manière cela se traduit-il ?
Prenons l’exemple des talents et du recrutement. Si nous participons à l’implantation sur le territoire d’une entreprise dont le sens de l’activité est challengé ou qui est discutable au regard de la qualité des conditions de travail qu’elle propose, elle aura de toutes façons des difficultés en termes de marque employeur et ne parviendra pas à recruter. Elle ne pourra pas se développer. C’est un constat que partagent tous les entrepreneurs.
De la même manière, difficile d’envisager l’implantation d’un projet industriel si la population du territoire le rejette.
La question d’acceptabilité et du dialogue associé est fondamentale.
Elle concerne aussi la question des enjeux climatiques. Par exemple, nous savons que le territoire de la métropole de Lyon sera particulièrement vulnérable du fait des changements climatiques. Cela se traduira sans doute par des pics de chaleur et de pollution atmosphérique. Les projets économiques que l’on accompagne spécifiquement en tant qu’agence de développement économique doivent pleinement intégrer cela, tout comme la question des ressources, notamment les ressources en eau qui seront de plus en plus contraintes. Nous vivons une tension forte car souvent les entreprises qui offrent des solutions et des procédés pour la transition écologique ont-elles-mêmes des activités fortement consommatrices d’eau. Fabriquer de l’hydrogène nécessite de l’eau, même chose pour les panneaux photovoltaïques. Intégrer la disponibilité des ressources et celle du changement climatique dans la réflexion sur le développement économique ne participe pas d’un dogme ou d’une idéologie. Cela répond à une réalité territoriale et surtout entrepreneuriale pour limiter les risques existants ou futurs sur les modèles d’affaires
Votre optimisme se nourrit-il de votre expérience ?
J’ai fait 20 ans de business international, dans le monde des grands groupes, de la transformation des entreprises, et de leur développement et puis j’ai passé cinq ans dans le déploiement d’un projet territorial au bénéfice les plus vulnérables, territoire Zéro Chômeur de Longue Durée.
Il faut prendre en compte la robustesse
Je pense que ces deux mondes sont indissociables pour porter un développement économique harmonieux, tout simplement car il faut prendre en compte la robustesse. L’enjeu est de construire des systèmes qui soient suffisamment solides pour passer les crises. On a eu avec la crise liée au Covid une répétition générale qui a montré que la robustesse est plus efficace que la performance dans un contexte de crise voire de chaos. Quand on s’est mis à fabriquer des masques dans des petits ateliers de couture ou que les infirmières et infirmiers se sont vêtus de sacs poubelles pour pouvoir affronter la crise, ce n’était pas de la performance, c’était de la robustesse. Le fait d’avoir été exposé dans mon parcours à la fragilité et à la vulnérabilité humaine dans l’accès à l’emploi et de voir ce qu’il est possible de créer m’a permis de me rendre compte que des systèmes comme Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée sont probablement une des clés pour apprendre à développer des système plus robustes. C’est pour cela que nous avons eu énormément de visites de comités exécutifs de groupes intéressés par nos systèmes managériaux. Quand on se cale sur le rythme du plus lent ou du plus fragile, on peut marcher longtemps. Cela n’empêche pas l’ambition et l’innovation, bien au contraire.
A relire :
Sébastien Lapendry – Alain Barbier : « Notre approche de promoteur est inclusive »
Didier Goubert : « Imaginons une nouvelle approche pour l’emploi des jeunes exclus »