Un an après le lancement d’une levée de fonds ouverte à tous, le projet entrepreneurial de lutte contre le changement climatique Time for the Planet a conquis 20 000 actionnaires et crée ses premières entreprises. Rencontre avec Mehdi Coly, l’un des six fondateurs. Retour avec cet entrepreneur sur l’histoire du projet et les axes d’action prioritaires : la captation de CO2, le stockage d’énergie et la réduction de l’empreinte environnementale des matériaux de construction. 

Qu’est-ce qui fait qu’un jour on lance un projet comme Time for the Planet ?

Quand nous étions étudiants, Nicolas Sabatier, qui est aussi l’un des cofondateurs de Time for the Planet, et moi-même avions créé une entreprise qui s’appelait Vitacolo. Nous proposions des séjours pour les enfants en situation de handicap en leur permettant de bénéficier de la présence d’un référent sur place sans coût supplémentaire. Cette intervention était financée par nos bénéfices. Quand nous avons fait 400 000 euros de chiffres d’affaires, on nous a dit qu’il serait bien de définir un business plan pour structurer le développement de l’entreprise. Je crois que c’est à ce moment-là que nous avons réalisé à quel point l’entrepreneuriat est quelque chose d’extraordinaire. Il permet de régler des problèmes à grande échelle sans demander de l’argent à qui que ce soit, en comptant simplement sur l’activité de l’entreprise.

Faire du social c’est bien, à condition que l’espèce humaine survive

Il y a trois ans, nous avons eu une prise de conscience sur les changements climatiques car faire du social c’est bien, à condition que l’espèce humaine survive. À ce moment-là, nous avons souhaité créer une entreprise qui crée des entreprises pour lutter contre les changements climatiques et le faire rapidement. Attendre de gagner suffisamment d’argent avec nos activités aurait demandé trop de temps au regard de la somme qu’il fallait réunir. Nous avons abandonné l’idée d’assurer nous-mêmes le volet financier et avons lancé un crowdfunding géant, ouvert sur le monde entier pour que chacun puisse participer.

Vous auriez pu également aller frapper à la porte de grands investisseurs, pourquoi ce choix ?

La limite était pour nous le taux d’échec lié au fait que la technologie est souvent exploitée au profit exclusif d’une équipe qui possède tout. Quand elle disparaît, parce qu’elle n’a pas réussi le marketing ou en raison d’une brouille entre associés, c’est toute la technologie qui s’en va. Nous ne souhaitions pas prendre ce risque et pour cela proposer un projet en open source. La technologie est ainsi partagée entre plusieurs équipes entrepreneuriales. L’autre raison de ce choix est que pour sourcer les meilleures technologies et attirer les meilleurs talents, nous pensions qu’il était préférable de ne pas s’inscrire dans une démarche d’intérêts privés. Notre crainte était que le projet finisse par dévier vers la recherche prioritaire du gain financier. Aller chercher des investisseurs sur un projet à but non lucratif et open source, ce n’est pas simple. Il faut d’abord démontrer un élan de grande ampleur, c’est pourquoi nous avons débuté de cette manière. 

Vous visez en dix ans un milliard d’euros récoltés, 100 entreprises innovantes créées ou soutenues. Aujourd’hui vous en êtes où ?

L’objectif pour la première année était 1 million, 10 millions pour la deuxième, 50 millions sur la troisième… Nous avons atteint le premier million en octobre 2020. Nous sommes aujourd’hui à 7 millions d’engagements. Quand on dit un milliard, l’objectif est de dire que ce qu’on veut faire est conséquent et que nous avons besoin de beaucoup de monde pour cela, de faire comprendre en une phrase que l’objectif est de faire quelque chose d’ampleur. Après si c’est 500 millions ou 3 milliards cela n’a pas vraiment d’importance. On peut parfois avoir plus d’impact avec 100 millions qu’avec 900 millions, l’argent n’est pas le seul paramètre qui entre en ligne de compte. La mobilisation, la qualité des projets… sont des éléments tout autant stratégiques.

Quand seront créées les premières entreprises ?

C’est en cours pour les innovations qui ont passé le stade du comité scientifique.

Les évaluateurs analysent 200 innovations par semaine.

Les évaluateurs analysent 200 innovations par semaine. Chacune d’entre elles est vue par une centaine de personnes différentes qui les analysent selon six critères : impact, faisabilité technique, externalités, réplicabilité, potentiel marché et viabilité de l’open source. Une fois cette étape réalisée, le comité scientifique se penche sur les dix meilleures et en sélectionne cinq. Ce comité scientifique, qui n’est pas rémunéré et composé pour trois ans, rassemble des membres que nous sollicitons en direct. Il s’agit aujourd’hui de membres du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du commissariat à l’énergie atomique…, ce sont des spécialistes. Suite à leur avis, nous réalisons des tests de viabilité économique, négocions avec les équipes, recrutons des entrepreneurs pour les faire entrer dans l’équipe tech. Ces entrepreneurs sont des personnes qui ont réalisé des millions de chiffre d’affaires. Les entreprises sont créées après la validation de l’investissement l’Assemblée Générale de nos, aujourd’hui, 20 000 actionnaires.  

Quels sont les éléments marquants des innovations qui vous sont proposées ?

Je suis convaincu qu’il va falloir attaquer très vite dans trois grands domaines. Un premier sujet, c’est la captation. Nous émettons des quantités astronomiques de CO2 que nous ne devrions pas émettre et comme cela ne va pas changer du jour au lendemain, il faudra le capter. Le deuxième, c’est le stockage de l’énergie, parce que les principaux freins du passage des énergies carbonées que sont le charbon, le pétrole, le gaz, à l’énergie renouvelable c’est la question du stockage. Quand il n’y a pas de vent et pas de soleil, on sait bien que c’est compliqué pour la production d’énergie renouvelable. Les batteries sont encore très immatures car elles utilisent des métaux qui sont rares, sont très peu recyclables, doivent être changées très régulièrement et ont des capacités limitées. Le troisième sujet, ce sont les alternatives à des matériaux comme le ciment. La construction représente 5 % des émissions de CO2, il faut trouver des alternatives.

Positionner l’entreprise en acteur de la lutte contre le changement climatique, ça fonctionne ?

Oui, dans la mesure où nous ne sommes pas là pour dire aux gens ce qu’ils doivent faire. On respecte totalement une personne qui crée une entreprise uniquement pour gagner de l’argent. Il suffit que peu d’individus se mobilisent pour que les choses puissent changer, même radicalement. Tous les grands changements mondiaux ont eu lieu avec l’engagement de 1 % à 5 % de la population. On mise sur cela en comprenant très bien que des personnes ne puissent pas se sentir concernées par un problème climatique qui est complexe. On ne prend pas encore vraiment le coup de bâton, on ne connaît pas la taille du bâton et on ne sait pas à quel point le coup va faire mal. Ce qui est intéressant avec Time for the Planet, c’est que c’est un projet entrepreneurial et environnemental dans lequel 99 % des gens ne sont ni entrepreneurs, ni particulièrement engagés dans les problèmes environnementaux. Dans nos actionnaires il y a des personnes véganes qui ne prennent pas l’avion et certaines qui le prennent tous les jours.

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Medhi COLY
Actionnaire - Keeper