Professeur à l’ESCP, Isaac Getz, docteur en psychologie et en management, a publié plusieurs ouvrages sur l’entreprise libérée dont il a défini le concept. Pour le blog de Bruno Rousset, il revient sur cette transformation de l’organisation des entreprises qui constitue aujourd’hui un vrai mouvement en France. Il insiste sur le rôle prépondérant du dirigeant, qui doit se poser en leader libérateur et sincère pour entraîner l’entreprise dans son sillage.
Quand on parle d’entreprise libérée, de quoi parle-t-on ?
J’ai défini ce concept dans mes travaux en 2009. L’entreprise libérée est une organisation dans laquelle la majorité des salariés jouissent à la fois de leur liberté et d’une responsabilité complète pour entreprendre toute action qu’eux-mêmes, et pas leur chef ou les procédures, estiment comme meilleure pour leur entreprise.
Quels sont les changements qu’elle implique ?
Une entreprise ne peut pas se prétendre libérée s’il y a du contrôle à tous les niveaux. Cela ne remet pas en cause les personnes, mais leur comportement. Les dirigeants ou les managers font bien leur travail dans le cadre de l’entreprise classique, qu’on appelle la bureaucratie hiérarchique.
Les postures doivent changer.
Ceux qui donnaient des ordres et contrôlaient les activités des autres – ceux qu’on appelle des subordonnés -, deviennent aujourd’hui des leaders au service des personnes qui agissent sur le terrain. On les appelle les leaders jardiniers. L’image est parlante : le jardinier n’essaye pas de tirer sur les tiges des fleurs pour qu’elles poussent plus vite. Les leaders doivent avoir la même attitude, ils s’occupent de créer un environnement qui satisfait les besoins psychologiques des salariés, et ceux-ci ont envie d’agir mieux et plus.
Quel est l’enjeu de l’évolution de l’organisation des entreprises ?
Le dernier baromètre de Gallup révèle que 69 % des Français sont désengagés dans leur travail, 25 % sont même activement désengagés. Seulement 6% des gens ont envie d’aller travailler. C’est une situation dramatique qui concerne toutes les entreprises. Par comparaison, l’entreprise libérée compte 70 à 80 % de salariés qui sont contents de venir le matin parce qu’ils se sentent bien au travail, parfois même au point de repousser leur retraite. Ces salariés engagés donnent le meilleur d’eux-mêmes et sont plus performants pour les clients ou les usagers. Les entreprises libérées sont bien plus performantes que leurs concurrentes, même si cela ne constitue pas la finalité de libération d’entreprise mais sa conséquence.
Quels leviers actionner pour engager cette transformation ?
Les salariés veulent être traités avec confiance et considération pour leur intelligence. Ils souhaitent que l’entreprise leur permette de révéler leurs dons ou leurs talents. Enfin, ils préfèrent s’auto-diriger plutôt qu’on leur dise en permanence quoi faire.
Ce que j’ai compris en observant une centaine d’entreprises et d’organisations, c’est que
c’est toujours le patron qui devient ce leader qui transforme l’entreprise.
Le sujet n’est donc pas est-ce que toute entreprise peut se libérer, mais plutôt est-ce que tout patron peut être un leader libérateur ? S’il veut le devenir, il doit entamer une démarche qu’on appelle « leadership libérateur » basée sur des recherches en psychologie qui montrent que les salariés ont des besoins fondamentaux. Il doit aussi résoudre ses problèmes d’ego et de lâcher prise, sans quoi il ne pourra pas convaincre les collaborateurs qu’il fait confiance à leur intelligence. Et un élément essentiel est l’authenticité de sa démarche.
Dans quelle mesure ?
Si sa motivation est uniquement d’améliorer la performance économique ou de pallier de mauvais résultats, il ne réussira pas. Il doit être convaincu qu’il veut transformer l’entreprise pour les gens qui y travaillent. Cela prend plusieurs années, avec des moments d’épreuve, mais si cette croyance guide le dirigeant, les équipes vont le suivre. Seule l’authenticité peut convaincre les autres de participer à cette transformation difficile. Je connais une entreprise où, au bout d’un an, les syndicats ont dit au dirigeant « on ne croyait pas à votre discours, mais on vous a observé, et on a finalement décidé de vous croire et de prendre part ». Il n’y a pas de méthode, pas de modèle unique pour réussir car c’est une aventure humaine. Chaque fois le chemin est différent.
Bibliographie :
L’entreprise libérée. Comment devenir un leader libérateur et se désintoxiquer des vieux modèles, Fayard, 2017.
La liberté ça marche, Flammarion, 2016.
Liberté & Cie, Flammarion, 2016
A lire également : l’interview de Pascal Demurger (MAIF), qui illustre ces principes.
Le regard de Bruno Rousset
Comme l’explique Isaac Getz, engager une entreprise sur le chemin de l’entreprise libérée est une démarche au long cours. Ce chercheur a su mettre en lumière les différents ressorts de cette nouvelle organisation d’entreprise, et notamment ce qu’elle implique en termes d’évolution dans les comportements de management et de direction.
Son propos, inspirant, précise le rôle du dirigeant, les capacités qu’il doit acquérir et les valeurs qui doivent accompagner sa démarche, comme celle de l’authenticité.