Dans le cadre de mes recherches pour essayer de comprendre les ressorts de l’innovation, je suis tombé sur l’ouvrage du sociologue Norbert Alter intitulé “La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques”.

Ils sont noirs, maghrébins, handicapés et pourtant patrons. Elles sont femmes et peut-être aussi maghrébines, et pourtant patronnes. Ils, elles, ont réussi, leur entreprise prospère, leurs collaborateurs et leurs clients les respectent, voire leur banquier.

Qui sont ces patrons ?

Norbert Alter les a écoutés faire le récit de leurs efforts et de leurs rencontres avec les bonnes fées et les mauvais génies qui ont jalonné leur marche vers le succès.

Ces patrons sont d’extraordinaires conteurs parce que le récit leur permet de produire de la cohérence identitaire. Ce sont des personnes extrêmement réflexives qui se posent toujours la question de leur place dans le monde, de l’origine de cette place et des causes qui font qu’ils sont plus ou moins bien acceptés.

Chez eux, une séparation très importante et très précoce s’opère entre l’identité pour soi et l’identité pour les autres. Ces personnes atypiques n’ont souvent pas le choix, tout d’abord, que de toujours en faire plus que les autres pour être considérées de la même manière. Elles doivent sans relâche faire leurs preuves et se battent pour ne pas rester à la place que l’on réserve aux marginaux. Ce sont de fins observateurs des « codes » qui régissent les relations afin de pouvoir les comprendre et les reproduire.

Leur position d’étranger leur donne aussi un regard sur le monde qui se caractérise par une sorte d’étonnement sur quantité de choses et par une prise de distance quant aux conventions dominantes. Cette capacité de congruence associée à leur peu de considération pour les normes caractérise fort bien la personnalité d’un innovateur.

Ces personnes vont donc au-delà de ce qu’exigent les normes du métier. L’audace, quant à elle, est un élément intéressant. On pourrait penser que si ces innovateurs prennent tant de risques, c’est que d’une certaine manière ils n’ont rien à perdre.

Très intéressés, tant par leur personne que celle de l’autre, ils se placent rapidement dans une grande proximité relationnelle et dans une empathie forte. Très tôt, ils ont pris l’habitude de comprendre l’autre, de se mettre à sa place, indépendamment de ce qu’il représente socialement. Leur réussite est collective, ils ont été aidés parce qu’ils ont su créer des liens et devenir passeurs entre univers disjoints.

Dans le cadre de son enquête, Norbert Alter a constaté que ces patrons n’auraient rien pu faire seuls. S’ils ont réussi c’est qu’ils ont été aidés par les parents, l’être aimé ou encore leur professeur de collège ou de lycée qui a su déceler chez eux un potentiel.

Enfin, ces patrons sont souvent assez généreux, donnant à leurs salariés bien plus de lien social et de reconnaissance qu’ils n’en ont reçu eux-mêmes au départ. De ce point de vue, on dit qu’ils ont une fibre sociale”.

En ayant atteint une situation de puissance, ils ont acquis ce capital social et tiennent très souvent ce rôle de passeur en insufflant à l’intérieur de l’entreprise leurs conception originales du monde et du management.

Pourquoi font-ils tout cela ? Sans doute parce que, en entreprenant, ils entreprennent. Plus ils entreprennent, plus leur identité pour autrui devient positive, plus leur identité pour soi est cohérente.

Je vous recommande cet ouvrage passionnant qui permet de faire le lien entre l’innovation et l’atypisme de certains dirigeants.

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Bruno Rousset